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178 sive. Quelques doutes, d'ailleurs, s'élevaient dans son esprit à l'égard des choses mêmes qu'il venait d'exalter. Voulant néanmoins tenter un dernier effort, et s'adressant au vieil- lard : Méhémet, lui dit-il, tu conviendras, je l'espère, que no- tre civilisation, si défectueuse qu'elle puisse te paraître, n'en développe pas moins merveilleusement les hautes fa- cultés de l'homme, et qu'un immense mouvement intellec- tuel est sorti de son sein. La mort est dans la vie, répondit Méhémet et la vie et dans la mort. L'herbe des plus vertes prairies n'égale point en éclat l'herbe des cimetières. Le mouvement intellec- tuel que lu viens de citer n'est à mes yeux qu'une lugu- bre végétation alimentée par un cadavre. Quoi ! s'écria le français presque indigné, peux-tu parler ainsi du noble feu qui anime notre jeune génération Qui la corrode, qui la calcine, ajouta le vieillard ; oui, c'est un brasier qui brûle sans jamais féconder rien. Votre société sait elle tirer parti des forces qu'elle provoque, des fruits qu'elle fait mûrir? Que penserais-tu de nous si après une fertile saison nous laissions tomber nos moissons en fumier ? — Déconcerté par l'opposition qu'il rencontrait sur toutes choses, l'officier hésitait à l'interroger davantage. Cependant la curiosité l'emporta, et presque machinalement il lui dit: — Dans ton court séjour en France as-tu fréquenté nos artistes ? — J'en ai vu quelques-uns, répondit Méhémet en haussant les épaules; ils m'ont assuré qu'ils corrigeaient, qu'ils embel- lissaient la nature et je leur ai tourné le dos. — Du moins, en parcourant nos musées, tu auras admiré les chefs-d'œuvre qu'ils renferment. — On m'y a beaucoup parlé de tons vigoureux, de chaudes couleurs ; mais, excuse mon ignorance,, le soleil me paraît un coloriste beaucoup plus puissant que vos peintres, lesquels, soit dit sans leur déplaire, ne semblent pas s'en douter.