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177 Le soleil commençait à baisser ; ses rayons prenaient de plus en plus les riches teintes dont ils colorent le sommet des montagnes à l'approche du soir. Les minarets de Cons- tantine se revêtaient au loin d'une pourpre étincelante, et déjà l'immense horizon s'embrasait à l'égal d'un volcan. Un vent léger, semblable au souffle d'un bienfaisant génie, tem- pérait un peu l'accablante chaleur du jour. La partie animée de la nature se réveillait comme d'un long assoupissement. Les insectes bruissaient dans l'herbe ; les oiseaux sortaient des buissons où ils avaient cherché l'ombre ; par moment on entendait le cri des chacals ; et, perdus dans les flots d'une lumineuse vapeur, quelques aigles abandonnant leur retraite planaient à une hauteur considérable. C'était un de ces magnifiques tableaux devant lesquels le matérialiste le plus obstiné, s'atlendrissant malgré lui, sent ébranler son opiniâtreté à nier l'existence d'un suprême organisateur des mondes. Les deux interlocuteurs étaient redevenus silencieux. Méhémet, surexcité parla discussion, accélérait la combus- tion de son tabac. Une fumée odorante s'élevait autour de lui en légers tourbillons. La tête appuyée sur une de ses mains que voilait sa longue barbe, on l'eut dit plongé dans ces rêveries familières aux imaginations contemplatives des Orientaux, si l'émotion peinte sur son visage n'avait trahi l'a- gitation de son ame. Ali, accroupi sur le sol, semblait ne rien voir et ne pen- ser à rien. Quant à l'officier, il fumait lentement. Les répliques du vieil arabe embrassaient des questions trop vastes pour qu'il fut possible d'y répondre en un seul entretien. Il éprouvait une secrète humiliation à se voir, lui, homme civilisé, obligé de défendre vis-à -vis d'un barbare les avantages des socié- tés européennes. Entré dans la discussion avec une certaine conscience de la supériorité de ses vues générales, loin d'a- vancer en conquérant on le forçait à se tenir sur la défen- 12