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176 passerait mille fois les besoins de l'humanité. Les Arabes sous ce rapport, n'agissent pas mieux que vous. Nous tant que nous sommes, nous gaspillons indignement les bienfaits de Dieu. Quand il nous rappelle à la sagesse par le retour des sécheresses ou des inondations, il se montre trop bon; s'il nous abandonnait, ce ne serait que justice. — Les peuples civilisés, répliqua le jeune français, don- nent un admirable exemple de la sagesse dont tu parles. Vois leurs arts, vois leur inépuissable industrie. Tu n'as ja- mais étudié, sans doute, la merveilleuse activité de nos villes industrielles. — Hélas! reprit le vieillard, quel aveuglement est donc le tien? votre industrie, eh! que produit-elle si non un doulou- reux cancer qui va toujours creusant le corps malade qu'il dévore. Quel speclacle plus désolant que celui de vos vil- les manufacturières? Chacune de ces inventions dont vous êtes si fiers fait autant de ravages qu'une décharge de votre artillerie sur les masses désordonnées d'une armée en dé- route. Pas une d'elles qui ne couche par terre, à son appa- rition, des milliers de malheureux ! Cependant on les ac- cueille avec transport, et, plus elles se multiplient, plus le nombre des victimes augmente. Le commerce, qui ne de- vrait être qu'un simple échange de valeurs et de produits, estdevenu un brigandage organisé dans lequel les procédés les plus immoraux sont des actes légitimes. Tiens, laissons cela. Fume plutôt avec moi un peu de notre tabac; il vaut mieux que celui de ton pays. Ali, prêle un instant ta lon- gue pipe au français ! — Le jeune arabe obéit, garnit la pipe, l'alluma et l'offrit à l'officier. Pendant ce temps les cavaliers bédouins allaient et ve- naient, s'avançaient puis retournaient sur leurs pas, mais gagnaient insensiblement du terrain. Ils semblaient obser- ver le pays, et n'avaient pas encore aperçu le petit groupe où la barbarie, ainsi que nous disons en Europe, plaidait contre la civilisation.