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173 les lits de l'hospice, quelles réflexions penses-tu qu'ils fas- sent, une fois dehors? Crois-tu qu'il ne leur vienne pas à l'esprit que, hommes semblables aux autres hommes, ils vi- vent néanmoins comme un peuple de reprouvés ? Crois-tu qu'ils ne se soient jamais demandé si la justice divine vou- lait réellement qu'il en fut ainsi ? Crois-tu que dans leur ame ne fermentent pas des pensées dont l'explosion, hélas ! n'en- fanterait que des malheurs ? Et, pour combattre ce mal pro- fond, que fait votre civilisation, réponds-moi ?— Pendant cette apostrophe du vieillard, plusieurs cavaliers bédouins s'étaient montrés à une assez grande distance. Au détour d'un sentier, derrière d'épaisses broussailles on les voyait apparaître soudafh et disparaître comme des fantômes errants. Ils semblaient épier l'occasion de surprendre un en- nemi écarté, tout en craignant eux-mêmes une surprise. Le jeune arabe avait achevé son travail, et n'écoutait qu'a- vec indifférence une discussion trop ardue pour son esprit in- culte. Seulement, une légère teinte d'inquiétude se répan- dait sur sa physionomie lorsqu'on était en vue des cava- liers ; mais ses yeux redevenaient impassibles aussitôt qu'il les attachait sur la noble et calme figure de Méhémet. On eut dit qu'en présence de son maître, il abdiquait le pou- voir de penser, tant il paraissait l'entourer d'aveugle con- fiance, de dévouaient et de vénération. Après quelques instants de méditation, l'officier reprit l'en- tretien en ces termes : — Tu t'obstines, mon père, à n'envisager les sociétés euro- péennes que par leur côté faible. Puisque tout se modifie en ce monde, il est impossible qu'un peu de mal ne se trouve pas toujours à côté du bien. Le soleil qui fait jaunir vos champs de blé, les brûle aussi quelquefois ; faut-il mau- dire le soleil ? — La nature procède largement, dit Méhémet, et la con- duite des hommes n'est qu'une assemblage de petitesses. La quantité de blé qui pourrait mûrir aux rayons du soleil dé-