page suivante »
174 Dans ces lieux d'asile réservés à l'indigence, mes regards surpris ne se sont-ils pas arrêtés souvent sur d'étincelan- tes dorures ?... — Eh bien ! dit le jeune défenseur de la civilisation lais- sant percer malgré lui une vive contrariété, eh bien ! mon père, quel si grand mal trouves-tu donc à cela? — Le voici, reprit le vieillard dont la parole s'était ani- mée peu à peu. À peine ces malheureux ont-ils recouvré une partie de leurs forces, à peine leur estomac délabré a-l il savouré quelques aliments sainement nutritifs qu'on les li- vre de nouveau à leur nourriture meurtrière. Ils ont senti combien le repas est délicieux sur une couche rafraîchis- sante et vous les renvoyez sur un fumier dont nos chameaux ne voudraient pas. En sorte qu'ils n'ont [connu un peu de bien-être que pour en regretter plus amèrement la priva- tion. Eh! que leur importent vos bienfaits, s'ils n'aboutissent qu'à leur faire prendre en haine la condition où ils sont enchaînés! Oui, cela n'est que trop vrai^ dans ces hôpitaux tant vantés, on ne rend aux malheureux que juste ce qu'il leur faut de vie pour recommencer à souffrir. Encore faut-il supposer que vos habiles médecins ne les condamneront pas aux tourments les plus atroces, ne joueront pas froide- ment avec d'obscures existences afin d'avoir un fait de plus à citer pour ou contre un système nouveau, afin de consta- ter quelques progrès douteux d'une science qui ne voit dans les hommes que des machines à expérimentation. — Méhémet, je suis déjà tombé d'accord avec toi que tout - n'est pas au mieux chez nous. Mais si peu de bien qu'on obtienne^ n'est-ce pas toujours un résultat heureux? — Assurément. Mais dans le bien qu'on pourrait faire et qu'on ne fait pas ou qu'on fait mal; n'y a-t-il pas de quoi rabattre un peu l'orgueil de ceux qui se proposent en exemple au genre humain tout entier ? Ces infortunés, reve- nus à une santé apparente^ puis replongés dans leur mi- sère juqu'au jour où un nouvel épuisement les rejeterasur