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 172                     LA REVUE LYONNAISE

 richesse de la rime un culte qui allait jusqu'à la superstition? Est-ce
qu'elle ne réhabilitait point le sonnet, avec toutes ses difficultés
et ses plus minutieuses exigences? Est-ce qu'elle ne mettait pas au
premier rang ces petites pièces de vers où le travail de la facture
l'emporte sur le souci de la pensée, donnant ainsi le singulier exem-
ple d'exalter le vers même aux dépens de la langue? Pourquoi donc
renchérir ainsi sur certains détails quand on affecte avec tant de
fracas de mépriser les règles? Comment se fait-il aussi que cette
armée ait si mal retenu dans ses rangs ses propres soldats? Tout ce
qu'elle a produit de plus distingué lui échappe. On entre bien avec
elle sur le Parnasse, bien qu'on puisse s'étonner qu'elle ait choisi
pour se désigner une dénomination aussi classique. Mais dès qu'on
a quelque renom, on se dégage de cette alliance compromettante.
N'est pas athée qui veut, disait Napoléon à Sainte-Hélène. Il est
plus difficile qu'on ne croit d'être réaliste. Il n'y a que les sots qui
y réussissent avec un succès vraiment incontesté; les hommes
supérieurs y échouent, et se lassent vite de ces tentatives de jeu-
nesse dont ils sourient les premiers, quand ils ont conquis la répu-
tation.
   Peindre la réalité n'est pas en effet reproduire simplement l'écorce
des choses, c'est atteindre la vie même de la nature ou de l'âme; c'est
la faire comprendre en la rendant sensible non seulement aux yeux
mais à l'intelligence du lecteur. Prenons dans l'art ce qui semble
aux esprits superficiels le plus fatalement voué à la stricte imitation :
le paysage ou le portrait. En vain la peinture aura-t-elle l'exactitude
d'une photographie, s'il ne s'en dégage aucune idée, si nous ne ren-
controns sous ces apparences ni une âme qui vibre ni une pensée qui
s'éveille, nous resterons indifférents. Quelle sera donc l'unique con-
quête du réalisme ? C'est d'avoir rappelé que, pour exciter de grands
sentiments, on peut faire appel quelquefois à des objets vulgaires;
c'est d'avoir répété que la vivacité des émotions n'exige pas l'emploi
continu du style solemnel dans lequel s'oubliait et s'endormait trop
souvent la poésie du dix-huitième siècle. La découverte n'était pas
neuve. Il y avait deux mille ans que Sophocle n'avait pas craint
d'exposer aux regards des Athéniens les haillons souillés de sang et