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530                      LA REVUE LYONNAISE
   L'appel n'est pas resté sans résultat. Déjà des officiers de la brigade de topo-
graphie des Alpes-Maritimes avaient visité et battu vainement le sommet de la
montagne; des agents des chemins, envoyés parle Préfet du département, le
visitèrent et le fouillèrent à leur tour ; inutile de dire que ce fut avec le même
complet insuccès. Pressé d'expliquer cette disparition incompréhensible du mo-
nument, M. Blanc aurait répondu « qu'il fallait que la pierre eût été emportée
par une avalanche » !          sans doute l'avalanche formée des neiges «persis-
tantes » accumulées depuis 1879. Il était, du reste, fort heureux qu'elle eût été
emportée par une avalanche plutôt que par le diable ; car si les deux explications
eussent été aussi croyables l'une que l'autre, il restait toujours avec la première
au moins l'espérance d'en retrouver, quelque joui', les débris. C'est, en effet, ce
qui ne tarda pas à arriver. En parcourant avec un des membres du Club alpin
français de la section des Alpes-Maritimes le flanc de la montagne, M. Blanc crut
reconnaître le cippe d'Ahenobarbus dans un bloc à moitié enterré que couronnait
une sorte de corniche brisée. Bien vite portée à Nice, l'heureuse et triomphante
nouvelle fut en toute hâte transmise à Paris sur les ailes de l'électricité avec de-
mande de crédit des sommes nécessaires pour l'extraction, la descente et l'envoi à
Saint-Germain; le tout fut immédiatement accordé. Il ne restait plus, pour être
enfin en possession du précieux monument depuis si longtemps désiré et pour
avoir gain de cause avec éclat contre une condamnation inique, qu'à inviter
M. Blanc à vouloir bien retourner, accompagné de quelques ouvriers, vers la
pierre, afin de la faire déterrer et afin de jalonner le chemin par lequel on
pourrait ensuite aller sans lui la chercher.
    Des délégués de la Société des sciences, lettres et arts de Nice, plusieurs
 membres du Club alpin voulurent être de la partie, et, par une belle matinée,
le 10 novembre 1883, le cœur en fête, on se mit résolument en route. Tout alla
à souhait pendant les premières heures ; mais, après une halte à Lantosque, on
 remarqua avec inquiétude que le chef de l'expédition, qui, peu d'instants après
la sortie de ce village, était retourné sur ses pas, ayant sans doute oublié quelque
chose, tardait bien à reparaître. On continua toutefois, non sans interroger sou-
 vent du regard l'espace en arrière, à s'acheminer vers la cabane forestière qui
 était le terme de l'étape delà journée. Peut-être y trouverait-on M. Blanc arrivé
le premier; peut-être avait-il été effrayé par la perspective d'une nuit à passer
 dans une baraque en planches à 1.800 mètres d'altitude; mais à coup sûr
     ne manquerait pas de rejoindre ses compagnons le lendemain de bonne
 heure.
    Vaine attente ! La petite troupe dut enfin acquérir la désolante persuasion
 qu'elle était abandonnée de son chef. M. Pomateau, le membre du Club alpin qui
 avait, peu de jours auparavant, vu le bloc mi-enfoui, devint le guide de
 l'exploration.
    Facilement il reconnut les endroits précédemment parcourus, l'aspect des lieux
 et enfin la pierre elle-même, qu'on se mit en devoir de déchausser avec le pic
 et la pioche et non sans peine, le sol étant profondément gelé. C'était une pierre
 absolument brute ; ce qui avait été pris pour une façon de corniche saillante
 n'était autre chose qu'une autre pierre brute, plate, juxtaposée par hasard et non
 adhérente       Il n'y avait plus qu'un parti à prendre : rire de la déconvenue;
 c'est en quoi chacun s'exécuta de sonmieux, ne fût-ce que pour égayer le retour
 (Voir Bull. Épigr., 1883, p. 315).