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                         EPIGRAPHIE ROMAINE                                    529
cachette, « les passants », — notez que c'est dans un désert, — avaient fini par
la briser et en égarer un morceau, que, par un hasard miraculeux, M. Blanc
avait eu la chance inespérée de retrouver dans un ravin voisin après avoir, tou-
tefois, complètement délié la langue du bonhomme à l'aide de la « clef d'or qui
ouvre toutes les portes ». Il était bien extraordinaire aussi qu'une pierre vue et
copiée précédemment au bas de la montagne avant d'avoir été brisée, se retrou-
vât sur le sommet du mont à plus de 2.000 mètres de hauteur; avec un texte
amplifié, sans compter qu'il eût fallu qu'Ahenobarbus, pour être venu placer sur
cette cime déserte et inaccessible le monument de sa dévotion, fût à la fois un
bien fantasque proconsul et un alpiniste bien intrépide. Sans doute, il ne sera pas
allé là-haut sur le dos de son éléphant de parade.
    Mais il y a des gens qui ont la crédulité robuste. Malgré tous les flagrants
indices d'un conte forgé à plaisir, malgré la formelle condamnation prononcée
par un savant de la plus haute autorité, malgré le désaveu de l'histoire, la décou-
verte fut tenue pour vraie et bonne, et il n'y eut pas assez de félicitations, pas
assez de louanges pour l'heureux inventeur. « De pareilles bonnes fortunes »,
lit-on dans le Rapport, « n'arrivent qu'à ceux qui sont dignes de les conquérir.
« M. Mommsen, bien que l'inscription ne contienne rien qui doive la rendre
« suspecte, l'avait reléguée parmi les fausses, l'avait exécutée sans phrases,
« sans daigner donner les raisons de son arrêt. Heureusement, le scepticisme
« de M. Mommsen n'avait pas été partagé par tout le monde, et voici que l'au-
« thenticité de l'inscription condamnée est démontrée par un argument décisif;
« M. Blanc la retrouve ». — Le musée de Saint-Germain s'empressa de faire
l'acquisition de la précieuse pierre, qui allait être une des perles les plus belles
de la collection. M. Blanc eut mission d'aller chercher le monument.
   Malheureusement on avait compté sans les obstacles que la malveillance du ciel
se plut à opposer à l'exécution du mandat confié à M. Blanc. Les neiges « très
«persistantes cette année », — en juillet et août, à une altitude de 2,000 mètres,
— ne permirent pas de parvenir au sommet. Elles auraient persisté peut-être
jusqu'à la fin des siècles, si, à la suite d'une décision de l'Académie de Rome de
publier un supplément au volume du Corpus relatif aux inscriptions de la Cisal-
pine, M. Mommsen, investi de la direction du Corpus, n'eût chargé M. Ettore
Pais, directeur du musée de Gagliari et membre de l'Acade'mie des Lyncées,
de se mettre à la recherche du cippe d'Ahenobarbus, la plus ancienne inscription
de toute la région, — « à moins par hasard qu'elle n'en soit peut-être bien
la plus moderne ». — M. Pais fit ce que M. Blanc n'avait pas fait; il prit la
rude peine de gravir la montagne jusqu'à la cime, et comme on devait s'y atten-
dre, n'y trouva rien de ce qu'il cherchait. Il y trouva seulement trois lettres :
 V. G. V., les initiales des noms de trois villages environnants, gravées en trian-
gle sur une roche, dont M. Blanc, interprétant mal les informations par lui
recueillies et aimant mieux croire que d'aller voir, avait fait, dans sa relation,
un cippe carré présentant gravé in extenso sur chacune de ses quatre faces le
nom d'une des quatre communes assises au bas de la montagne, tandis qu'il n'y
en a que trois : Utelle, Clans et Venanson, qui terminent leur territoire à ce
point commun. C'est alors que M. Mommsen, par une lettre insérée dans notre
 Reçue, juin-juillet 1883, crut pouvoir demander, après quatre années d'attente,
 au musée de Saint-Germain et à M. Blanc de vouloir bien faire connaître ce
 qu'était devenu l'introuvable autel d'Ahenobarbus.