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202                       LA R E V U E LYONNAISE
celle du ministère de Richelieu, il sait mieux que personne qu'elles ne sont plus
à refaire. Il a également laissé de côté le chapitre diplomatique : ainsi qu'il le
reconnaît lui-même, la politique extérieure du grand Cardinal est au-dessus de
tout éloge; c'est la politique française dans ce qu'elle eut jamais de plus patrio-
tique et de plus achevé. Mais il a voulu étudier l'établissement de la monarchie
absolue en France, son rôle et son influence à l'intérieur, son administration générale
et provinciale, ses institutions financières, religieuses, militaires et commerciales,
sa justice et ses résultats économiques au point de vue du pays. C'est un sujet
immense, bien fait pour captiver l'intelligence d'un érudit et d'un penseur;
M. d'Avenel y consacrera quatre volumes, dont les deux premiers ont seuls paru.
Hâtons-nous d'ajouter que les derniers chapitres sont excellents : sur l'état social
et financier, les dépenses et les charges de la cour, la politesse et les salons, la
valeur monétaire et le pouvoir de l'argent, les tailles, les aides, les gabelles, les
recettes du domaine, les ventes d'offices, la dette publique, les dépenses secrètes,
il a accumulé les documents les plus précieux et mis en lumière des faits infini-
ment intéressants dont la réunion, la condensation nous faisait un peu défaut
jusqu'ici. Ce sont de bons tableaux dont la touche large et magistrale dénonce
un peintre exercé. La critique y mordra peu, elle s'y épuiserait. On peut
regretter qu'il n'en soit pas tout à fait autant de certains autres. Donnons, au
hasard, quelques exemples.
   Selon M. d'Avenel, deux révolutions, deux grands événements se sont pro-
duits dans la première moitié du dix-septième siècle, l'avènement des gens de
lettres qui prennent possession de la direction de l'opinion publique, et la chute
de la noblesse, dont la monarchie a refusé de faire une aristocratie.
   Est-il bien vrai que les gens de lettres n'aient pris le sceptre de l'opinion que
sous Henri IV et Louis XIII ? Qu'étaient-ce donc que ces Lascaris, ces Budé,
ces Erasme, ces Dumoulin, ces Ronsard, ces du Bellay, ces Baïf, ces d'Aubigné,
ces Montaigne, ces Pasquier, ces Monluc, ces Marot qui étudiaient, chantaient,
philosophaient, narraient ou discouraient aux applaudissements de la cour et de la
ville? Qui donc dirigeait alors le mouvement intellectuel, et, par suite, l'opinion
publique, si ce n'est cette pléiade de poètes, do savjnts, de jurisconsultes, de sa-
tiriques, de diplomates, de théologiens, d'orateurs et mêmes de pamphlétaires
qui luttaient de la parole ou de la plume au milieu de nos troubles politiques,
pour ou contre la Réforme? Calvin, Théodore de Bèze n'étaient-ils donc pas des
lettrés? Et quand la paix religieuse se rétablit, quand Henri IV réorganisa la
monarchie et replaça l'Etat sur sa base, est-ce que l'on voit un pareil épanouis-
sement, une telle domination du pur talent littéraire, de la science réduite à elle-
même, de l'intelligence, privée du prestige et de la force des dignités ou des fonc-
tions publiques? Lorsque même, sous Louis XIII, une seconde renaissance
apparaît pour les lettres, occupent-elles une aussi grande place et exercent-elles
un empire aussi puissant sur les esprits ?
   Les causes de la décadence de la noblesse françaises, quoique plus délicates,
ne sont pas moins manifestes encore. M. d'Avenel a raison de dire que sa vanité,
sa légèreté, ses prodigues folies et son inhabilité politique l'ont perdue. Mais ce
ne sont-là, d'après lui, que des motifs secondaires. La véritable raison, c'est que
la royauté a refusé de faire d'elle, comme en Angleterre, une aristocratie.
 M. d'Avenel se fait une trop haute idée du pouvoir royal. Le roi peut anoblir
deux ou trois cents de ses sujets. Il peut leur accorder des titres et même des