page suivante »
PENSEES 385 être un jour vos regrets ; et sans le savoir, vous consommez peut-être à présent votre part de bonheur terrestre. Le bonheur n'arrive que d'un côté, le malheur vient de partout. * Les Grecs appelaient les Furies EJ^VISSÇ, les bienveillantes; les Hébreux appelaient la mort mansuétude, douceur; et ils disaient gustare mortem, goûter la mort... Tous les peuples ont de ces mystérieux euphémismes. * La tragédie classique, j'entends celle de Corneille, de Racine, de Voltaire, d'Addison, emploie un langage très solennel et tient une conduite très savante, mais qui sentent beaucoup la conven- tion, et se désintéressent trop de l'histoire vraie, des personnes, des temps et des lieux. Hébreux, Grecs, Romains, Scythes, Parthes, Gaulois sont mou- lés de même, stylés dé même, costumés de même. L'homme, qui est « un » au fond, apparaît toujours uniforme en dépit des moeurs si variées. Le drame, celui de Shakespeare, de Gœthe, de Schiller, repré- sente mieux l'homme semblable à nous, sa taille, son tempé- rament, son caractère, son milieu. Moins de convenu permet plus de naturel. Le personnage qui pose et qui pérore fait place à la personne qui agit. Les types sont plus parfaits humainement et historiquement, sinon littérairement. Dans le drame, la donnée est plus intéressante, le champ plus vaste, le dessin plus hardi, la couleur plus vive, le détail plus franc et plus familier, l'inspiration plus originale. La tragédie parle surtout à l'érudit; le drame répond à tout l'homme. Le plan, les rôles, les tirades, le rythme, je ne sais quoi d'impersonnel et de routinier, qui fait qu'on écoute sans grande surprise, signalent la tragédie. Les drames de Shakespeare, de Gœthe, de Schiller, même traduitS) même mal traduits, attachent, transportent, émeu- CCTOBRE 1883. — T. VI. 25