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PENSEES 383 Racine, dans Bérénice, battit Corneille; l'aurait-il battu dans Rodogune? Corneille et Racine s'essayèrent dans la comédie, chacun avec le génie qui le distingue. Corneille est original, il invente; Racine imite, il est original quand même. Corneille fait voir l'homme tel qu'il devrait êt^e, bon, généreux, fidèle à la justice et à l'honneur; il porte au devoir en prêchant la vertu. Racine se contente de re- présenter le vice, représentation à vrai dire, quelque peu séduisante ; mais, en dernière analyse, édifiante, si l'on regarde aux calamités que le vice produit tôt ou tard. Corneille eut besoin d'un commentaire, trop de défauts se mêlant à des beautés. Le commentaire de Racine est tout entier dans ces trois mots de Voltaire : « Beau! harmonieux! sublime! » Après mêmes éclatants débuts et mêmes succès éclatants, quelle fin différente! Corneille s'éteignit derrière les nuages qui avaient voilé son au- rore. Lui dont les salles de théâtre saluaient la bienvenue par de soudains applaudissements, devant qui des rois se levèrent, qui avait fait pleurer le grand Condé, il passa de la terre, pauvre, obscur oublié. Comme ce Pompée qu'il avait mis surla scène en des temps meilleurs, il avait trop vécu d'un jour ; et en était venu à s'entendre souhaiter « d'être encor le Corneille et du Cid et à 'Horace! » Racine fut enseveli dans son triomphe. Lui ne vécut pas assez; il emporta autant d'espérances que de regrets. Son legs, au seuil de la tombe, fut son chef-d'œuvre, un chef-d'œuvre de l'esprit hu- main -.Athalief Plusieurs préfèrent Corneille ; beaucoup aiment mieux Racine. Tous ont tort, tous ont raison. * Le peuple romain, de l'aveu de Cicéron, était par-dessus tout un peuple religieux; c'est pourquoi facere signifiait sacrifier, faire l'action par excellence. Chez les Grecs, peuple poète et artiste, Tuota'v voulait dire une autre action précellente : inventer, imaginer, « poétiser ». * Vivre, survivre, revivre serait tout l'homme.