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                                 PENSEES                          381
d'abord lutter contre les brouillards d'en bas, contre les nuages
 d'en haut... mais enfin il prévaut, et s'élance libre, splendide.
Tel Corneille, tel Racine; un premier élan jeta entre eux et leurs
maîtres de la veille un profond intervalle qui devint bientôt une dis-
tance infranchissable.
    Les buts n'étant pas les mêmes, ni les chemins parcourus; les
obstacles furent différents.
    Corneille n'eut à vaincre que des médiocres ; là n'est point sa
gloire. Sa gloire est d'avoir grandi par lui-même, sans modèle.
Racine avait à atteindre Corneille. Sans être son pareil, il fut son
égal, triomphe !
   Corneille a le visage austère, un peu âpre; la parole grave, un
peu rugueuse : c'est un père que l'on respecte, un maître que l'on
subit avec ses défauts et ses qualités. Racine a la voix caressante,
l'air sympathique, gracieux et doux : c'est un frère, un ami.
   Corneille s'empare de votre esprit en conquérant; Racine joue
autour de votre cœur, et le pénètre peu à peu.
   L'imprévu, l'ébauché, voilà Corneille, le naturel, le fini, voilà
Racine.
   Corneille, c'est ce lion de Milton qui bondit vers l'espace moitié
vie, moitié fange encore. Racine, c'est le rossignol qui, dès la
première roulade, trouve des merveilles d'harmonie.
   Corneille dit, et on bat des mains :
        Je ne dois qu'à moi seul toute ma renommée-

  On dit à Racine avec un sourire d'amour :

        Je ne trouve qu'en vous je ne sais quelle grâce
        Qui me charme toujours, et jamais ne me lasse.

  Ou-bien :
                         ...Tous les jours je vous voi?,
        Et crois toujours vous voir pour la première fois.

   Corneille est le peintre des fiers sentiments, des résolutions hé-
roïques : c'est Rodrigue hésitant entre l'amour et l'honneur, puis
immolant le père de Chimène ; Horace préférant la patrie à sa