Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
[ Revenir aux résultats de la recherche ]
page suivante »
358                 LA REVUE LYONNAISE
sa longue existence, on se trouvait à même de pourvoir à la ré-
paration de la chapelle. Elle était bien mince, cette restitution
tardive au regard des sommes quotidiennement extorquées aux
pauvres plaideurs : mais pour le chicaneau, et disons-le aussi
pour le couvent qui s'était vu rarement à pareille fête, c'était
beaucoup. La plus grande partie des travaux était exécutée : il
ne restait plus qu'à peindre à fresque le mur placé derrière
l'autel. Mais à qui s'adresser? Il n'y avait, au proche village,
qu'un mauvais barbouilleur d'enseignes auquel il ne fallait pas
songer : au reste, impie, blasphémateur, buvant comme un Polo-
nais au temps où il y avait des Polonais et ne travaillant guère
qu'un jour sur sept. Pas n'est besoin d'ajouter que ce jour-là,
c'était le dimanche, et que toutes ces belles qualités réunies lui
avaient valu une des premières places dans l'intelligente munici-
palité de "sa patrie. On ne pouvait, on le voit, avoir recours à cet
Antéchrist, et les pauvres sœurs de Bellefontaine étaient des plus
embarrassées. La Providence les prit en pitié et mit fin à leurs
angoisses.
   De fortune vint à passer dans la contrée un joyeux rapin qui,
pris tout à coup delà nostalgie du grand air et des horizons bleus,
s'était brusquement envolé de Paris et s'en allait semant par
monts et par vaux sa flânerie et ses folles chansons d'atelier. Par
hasard encore, à l'auberge où il était descendu, il entendit parler
de deux petites peintures sur cuivre que possédait le couvent et
qui étaient venues là, l'on ne sait comment. Accompagné du curé
qui se mit obligeamment à sa disposition, il put pénétrer dans le
monastère et voir de près les tableaux. On tint, comme il était à
prévoir, à lui montrer dans tous leurs détails les magnificences
de la chapelle restaurée : mais quand on sut que le jeune homme
cultivait l'art illustré par Apelle, ce fut dans tout le couvent une
joie qui tenait du délire. La mère supérieure accourut, aussi
rapidement que lui permettaient son grand âge et ses béquilles :
elle exposa le cas et plaida si chaleureusement sa cause que maître
rapin ne put moins faire que d'accéder à sa prière : il promit de
faire la fresque. Quand il eut accepté, l'enthousiasme ne connut
plus de bornes : on sonna les cloches et peu s'en fallut qu'on ne
chantât le Te Deum.