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190 LA REVUE LYONNAISE l'étonnement de Mme Lobligeois fut immense de voir son locataire rentrer après minuit. Cependant le temps passe aussi bien pour les indolents que pour les autres. Nous obtînmes à peu près au même moment, Oscar et moi, notre diplôme de licencié. Mon flegmatique ami ne jugea pas à propos de pousser plus loin ses études juridiques. 11 estimait sans doute avoir donné une assez belle preuve d'énergie en obte- nant ce grade. Quant à moi, je voulais arriver au doctorat; pressé d'améliorer ma situation, je me fis inscrire comme stagiaire et j'eus bientôt, grâce à de bienveillantes protections, l'honneur et le bon - heur d'être accepté comme secrétaire par Me Z..., le célèbre avocat criminel. Mes nouvelles occupations s'opposaient naturel- lement à ce que je visse Oscar aussi régulièrement qu'autrefois. Les cours me prenaient toute la matinée, toute la journée se passait au Palais, l'étude des dossiers qui s'amoncelaient sur le bureau de MGZ... absorbait la soirée et une partie de la nuit. Je m'arran- geais cependant pour ne pas abandonner tout à fait mon pauvre Bachereau, et une semaine ne s'écoulait guère sans que j'allasse causer avec lui une heure ou deux. Libéré de l'obligation de sortir pour aller à l'école de droit il restait plus que jamais chez lui, j'avais presque besoin d'user de violence pour obtenir qu'il me re- conduisît à ma. porte et prît ainsi un peu d'exercice. Quoiqu'il fût robuste et bien portant, un pareil régime eut bientôt fait d'altérer sa santé. Je l'engageai à consulter un médecin, bien que je me sentisse parfaitement capable de lui faire moi-même les prescriptions utiles, mais j'espérais que, venant de la Faculté, elles auraient plus de poids. Oscar, comme tous les gens faibles, qui ne disent jamais non et demandent à gagner du temps, promit tout ce que je voulus, mais ne fit rien. Ce que voyant, je pris sur moi d'amener un jour un jeune interne de mes amis sous le prétexte de lui montrer un livre assez curieux acquis récemment par Oscar. Le nouveau venu examina soigneusement notre maniaque, tout en causant avec lui du ton le plus détaché; une fois dehors il me dit : « Ce gros garçon a besoin de se secouer. Puisque tu as de l'in- fluence sur lui, envoie-le où tu voudras, aux bains de mer, par exemple ; mais pour peu qu'il reste encore chez lui, claquemuré comme une huître dans sa coquille( je ne réponds de rien. »