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VICTOR HUGO 5 che des critiques. Un tel regain de succès, trois fois répété, prouve amplement que la génération actuelle, assez prosaïque cependant, n'est nullement insensible aux charmes de l'art pour l'art et de la poésie pure. • + Un trône s'était écroulé subitement ; une dynastie qui datait de trois siècles, une famille royale vieille de six cents années, avaient fui, emportées parla tempête populaire. La censure s'était évanouie, avec beaucoup d'autres institutions, pour renaître à la première occasion ; l'interdit qui pesait sur Marion Delorme fut levé. Une scène des boulevards, où d'ailleurs Casimir Delavigne avait déjà produit son Marino Falièro, la Porte Saint-Martin, lui fut ouverte en août 1831. Le jeu passionné de Bocage et de jYPe Dorval ; le rôle mélancolique de Louis XIII ; le personnage enjoué de Saverny : la noble gravité du marquis de Nangis ; d'agréables hors-d'œu- vre et le nom formidable de Richelieu, présent, quoique invisi- ble, au milieu de ces scènes joyeuses ou lugubres, provoquèrent un intérêt que le temps n'avait pas trop affaibli quand l'ouvrage fut repris à Paris en 1873. Le 22 novembre 1832, le Théâtre Français affichait le Roi s'amuse; mais, dès le lendemain, la pièce était supprimée par ordre : un vers, un seul, dit-on, avait motivé cet arrêt rigoureux. Il en résulta un procès, que Victor Hugo soutint en personne à la barre du tribunal de commerce et qui fut pour lui une suite d'ovations. Les exaltés applaudirent à cette ré- paration publique; mais les puristes approuvèrent la mesure admi- nistrative. Les violences de Triboulet, flétrissant la noblesse fran- çaise ; les sanglants reproches du comte de Saint-Vallier ; le cynisme de François Ier, séduisant la pauvre Blanche et courtisant la bohémienne Maguelonne dans la taverne du spadassin Saltaba- dil, avaient fait pousser des cris d'alarme aux champions de la morale officielle. Il faut croire que cette morale a ses phases et ses éclipses, puisque cette œuvre suspecte, qu'on venait d'interdire à jamais, a été donnée des centaines de fois, en italien ou en fran - çais, à la faveur de la musique de Verdi, et que, même sous sa forme primitive, elle a été souvent jouée en province, en attendant qu'elle reparaisse un jour sur un des théâtres de la capitale.