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— 345 — L'éloignement, le manque d'autorité et parfois la cupidité des abbés eurent une fâcheuse répercussion sur les mœurs des religieux qui se relâ- chèrent rapidement. Vers 1350, l'abbé Dégo, ne se montrant guère à l'abbaye, les moines en profitent pour abandonner réfectoire et dortoir, puis l'assistance aux offices devient très irrégulière, les rudes vêtements de bure font place à de moins austères étoffes, enfin le dérèglement atteint un tel degré que l'archevêque de Lyon doit interdire à l'aumônier et au frère Jean Ruyier de garder « des chiens de chasse, qu'il n'était pas permis d'entretenir de la substance et du pain des pauvres ». La frugale nourriture des premiers temps qui consistait en herbages, fèves cuites à l'eau, fruits crus, fut remplacée par un meilleur ordinaire qui ira encore s'améliorant, grâce aux exemptions, accordées par les Papes, de certains articles de la règle. Déjà la règle de Saint Benoît, plus douce que celle de Saint Martin, accordait du vin aux moines, et, en 1438, on voit figurer sur leur table des viandes de porc, mouton, lapin, accommodées en sauces, du poisson, des tartes, etc., etc. Bref, le refuge des anciens solitaires prit quelque ressemblance avec l'abbaye de Thélème, dont Ra- belais devait plus tard nous conter l'histoire en son truculent langage... Mais, après une période d'abondance, viennent les mauvais jours. Les ressources deviennent insuffisantes, les moines déclarent leur monas- tère « odieux, à cause de la rivière et de l'état des chemins » et, en 1549, l'abbé Antoine d'Albon obtient du pape Paul III la sécularisation de l'ab- baye, malgré l'opposition de l'archevêque de Lyon, Hippolyte de Ferrare, qui trouve, au contraire, que l'île Barbe est « proprement un petit Paradis et propre retrait pour servir Dieu ». Dès lors les religieux prennent le titre de chanoines, ne sont astreints qu'à six mois de présence, tandis que l'abbé n'est plus tenu de résider à l'abbaye. En 1562, les Huguenots pillent et incendient l'Ile-Barbe, la ruinant de telle sorte qu'elle ne se releva jamais. Les églises et les habitations des chanoines sont en partie détruites, les reliques dispersées, les titres et parchemins brûlés ou volés, « les cloches fondues, à la réserve de la plus grosse qui, n'ayant pu être cassée, fut jetée dans la rivière »J—« Je serais 1. Le Laboureur, idem.