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Du pont de la Guillotière, le seul pont du fleuve, au pont de Saône
(aujourd'hui pont du Change), le seul de la rivière, la voie la plus directe
ou la plus commode, et qui en tout cas fut cette fois suivie, c'était la rue
Bourgchanin, la rue de l'Hôpital, la Grenette, la place Saint-Nizier. Les
Lyonnais avaient secondé de leur mieux les intentions de l'Echevinage
et du lieutenant général du Roi. Ils avaient décoré le parcours de draperies,
de tapisseries, d'étoffes et de rubans aux vives couleurs, de bannières, de
guirlandes de verdure et même de tableaux et de statues de saints. Le
cortège lui-même était un spectacle par son étendue, son ordonnance, la
diversité des armes, des équipements, des costumes. Il s'avançait au pas,
en une marche solennelle, coupée d'étapes pour faire connaître la ville
de Lyon à la reine de France, et la reine de France au peuple de Lyon.
Les hautbois et les fifres sonnaient, les tambours battaient, l'artillerie,
massée sur la courtine de Bellecour, tonnait. Quand la nuit vint — et elle
vient vite en décembre —, les boutiques et les fenêtres s'illuminèrent ; des
torches furent promenées dans les rues pour éclairer ou pour mieux voir
cette première et solennelle rencontre des sujets avec leur souveraine.
Aux carrefours et sur les places, là où les rues s'élargissaient, se dres-
saient les maîtresses pièces de l'ensemble décoratif : devant l'Hôpital,
un arc ; au bout de la grande rue (la rue de l'Hôpital), une pyramide ;
place Grenette,un «théâtre», ou, pour mieux dire,un hémicycle; au milieu
du pont de Saône, un berceau de verdure ; un arc à la place du Change ;
devant la maison du Gouverneur, une statue de la Félicité (sur un sty-
lobate de dix pieds) ; Ã la place du Grand Palais, celle de la constance
conjugale ; Ã la Porte-Froc, un dernier arc de triomphe. Sur toutes ces
constructions en bois, frontispices, arcades, frontons, frises, piédestaux
et socles, peintes ou recouvertes de stucs et relevées de bas-reliefs,
c'est un foisonnement de figures et d'images allégoriques, d'emblèmes,
d'inscriptions d'« hiéroglyphes » : illustration qui est presque uniquement,
d'origine grecque ou romaine. Même quand Pierre Matthieu demande Ã
la nature les éléments de son symbolisme, c'est à travers un texte ancien
qu'il la voit. Il n'a d'yeux que par les livres. Ce qu'il aime dans l'antiquité
c'est moins un modèle achevé de l'art de penser et d'écrire qu'un fatras
d'anecdotes et un embryon de science. Son indigeste érudition lui tient