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— 59 — er LUNDI i AVRIL. Nous montâmes l à l'entrée de la Croix-Rousse dans un coin de vilaine maison, sale sur les murs, sale d'escalier, et cependant pas plus sale que la plupart des maisons bourgeoises de Lyon. Nous entrâmes d'abord chez un pauvre diable de tisseur républicain que M. Arles a sauvé d'être envoyé à la Cour des Pairs en 1834. Déjà il avait passé sept mois dans la prison de Perrache, 8 enfants sans pain, femme enceinte, mort en perspec- tive. Il sortit stupide de prison. Sa femme errant sans pain avec ses enfants était comme une lionne, dit M. Arles. Elle lui fut envoyée et reçut des secours, et la liberté de son mari. L'atelier était remarquablement sale et pauvre. Il contenait quatre métiers. Deux filles de 16 ou 18 ans travaillaient un peu mollement, comme filles de la maison ; un garçon de 12 ans idem. Enfin un pauvre petit de cinq ans a un tout petit métier ; il travaillait debout, parce que, me dit sa mère, il n'y avait pas de siège assez bas pour lui. Six énormes pains étaient entassés dans un coin. La famille mange 66 livres de pain par semaine. La mère, personne vive, énergique, jeune encore, malgré ses neuf enfants, est l'âme de la maison. Le mari, grand, maigre, éteint, nature visi- blement douce et faible, semblait ne devoir jamais se relever du coup qui l'avait frappé. De petites soupentes contenaient les lits du père et des huit enfants. Le neuvième est en nourrice. La seule chose qui consolait un peu l'âme dans ce tableau de misère, c'est que la famille travaille seule et n'admet pas de compagnon... Nous rencontrâmes par hasard le Jardin des Plantes. Il est placé à merveille tout près du Musée. C'est un autre musée pour les dessinateurs de fleurs (voir Monfalcon, Code, p. 278-9) 2. Ce jardin en amphithéâtre serait d'un effet admirable, si d'en bas l'on apercevait l'ensemble. Ce serait une sorte de Colisée végétal, un triomphant autel de la nature. La nature... et tout à côté, le travail. La rude montée de la grande côte, dont les noires maisons, dont le pavé âpre et glissant font sentir la rude vie de ceux qui l'habitent, moins rude encore que monotone, sombre et sans soleil... Là doivent couver de grandes haines, de grandes tristesses. Le chef d'atelier, travaillant moins lui-même, étant moins ouvrier qu'autrefois, sur- veillant le travail et gagnant sans travail, vivant en partie au café, doit être envié, détesté du compagnon dont il exige un travail assidu. Celui-ci est très impatient de s'établir, si jamais il le peut, afin de travailler peu, de vivre au 1. Arlès-Dufour et Michelet. 2. Monfalcon, Code moral des ouvriers ou traité des devoirs et des droits des classes laborieuses, Lyon, 1839.