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      Les premières impressions des trois voyageurs sur le sol français furent
extrêmement favorables. Si la fameuse perte du Rhône ne répondit pas à
leur attente, une noce à Bellegarde les mit en joie : « Le peuple français,
remarqua Pùckler, est si gai en de telles occasions, tout le voisinage s'associe
de si bon cœur et si complètement à cette gaieté, et les noces paraissent si
fréquentes (c'était déjà la deuxième que nous rencontrions le même jour)
qu'on serait tenté de croire que maint mariage se conclut ici uniquement à
cause des réjouissances qui l'accompagnent ». Pùckler et les Wulffen s'en-
gagent ensuite dans la vallée qui mène à Nantua ; leurs yeux se reposent
agréablement sur le lac de Sylans et sur de gras pâturages. Nantua leur
plaît par un air de propreté et de bien-être. Ils passent la nuit dans la jolie
petite ville et le lendemain matin ils suivent les bords de son lac ombragés
par de beaux noyers. Tournant alors vers le sud, ils gravissent les hauteurs
 d'où ils aperçoivent à l'extrémité d'une vallée étroite, dans un cirque de
 rochers, les toits rouges de Cerdon. Au delà de cette localité, le pays frappe
 ces hommes du Nord par son aspect méridional ; l'abondance des vignes et
 des châtaigniers crée des paysages nouveaux pour eux. A Saint-Jean-le-
 Vieux, ils s'amusent à lire une affiche imprimée qui annonçait un « grand
 bal paré » pour le dimanche suivant. Dans le même bourg, ces « curieux
 inspectateurs d'enseignes », comme Molière appelle les Allemands, en
 remarquent une qui veut dire que l'aubergiste Borde loge à pied et à che-
 val ; mais le peintre s'était permis de regrettables abréviations et des rappro-
 chements de lettres qui constituaient une offense à la morale publique. Les
 trois septentrionaux restaient stupéfaits quand pour une bouteille du meil-
 leur vin on ne leur demandait que quatre sous ; les prix des autres denrées
 étaient également modiques. A voir l'aisance générale, on ne se serait pas
 douté que la France supportait depuis de longues années le fardeau de la
 guerre, si l'on n'avait été frappé du petit nombre d'hommes valides et
 surtout d'hommes jeunes qui restaient dans des régions aussi peuplées ; on
 ne rencontrait guère que des femmes et des vieillards, et parfois, sur les
 routes, des bandes de réfractaires que les gendarmes conduisaient à la
 caserne, menottes aux poignets.