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— 104 — « Ah! quel plaisir d'être soldat! », dans la Dame blanche. Les sifflets redoublent, et quand, quatre jours après, le jeudi 15, il se représente dans Adolphe et Clara, il rencontre de nouveau la même hostilité, qui, à force de persévérer, l'amène finale- ment à résigner son emploi (1). Ces manifestations s'accompagnent parfois, il est vrai, d'apostrophes assez amusantes, comme celle que lance, un soir, un facétieux spectateur du parterre à un chanteur, au moment où il attaque, dans le Pré aux Clercs, le morceau qui com- mence ainsi : « Me voici donc enfin dans cette ville immense ! ». « — Tu n'y resteras pas longtemps ! » réplique une voix. Et un immense éclat de rire, ponctué de sarcasmes, achève de désarçonner le malheureux qui ne s'attendait pas à cette brusque agression. Mais il est d'autres jours où ces démonstrations affectent, au contraire, une brutalité, on pourrait dire une cruauté presque odieuse. Le dimanche 30 septembre 1832, à la fin du spectacle, conformément à une habitude qui était devenue d'un usage courant, en ces temps d'effervescence patrioti- que, attisée encore par les récentes infortunes de la Pologne, on avait réclamé l'exécu- tion de la Marseillaise. Le ténor qui faisait partie de la distribution de la pièce représentée ce soir-là , et qui s'appelait Cœuriot, s'avança pour la chanter. Mais il n'avait pas l'heur de plaire au public, qui le lui avait fait sentir déjà : « Non, pas vous ! » lui cria-t-on. « Nous ne voulons pas de vous! » (2). A la réflexion, semble-t-il, la rigueur d'un tel affront aurait dû faire rougir et incliner à un peu d'indulgence ses plus acharnés adversaires. Il n'en fut rien. Huit jours après, le 7 octobre, le premier ténor, Lecomte, se trouvant enroué, Cœuriot, qui le doublait dans son emploi, le remplaça dans le rôle de Masaniello de la Muette de Portici. Du commencement à la fin, il fut harcelé par des sifflets obstinés qui ne lui laissèrent aucun répit. Sa femme qui, de la coulisse, assistait à cette douloureuse exécution, s'élança sur la scène, pour implorer, en sa faveur, une suspension d'hostilités, et elle n'y parvint qu'avec peine (3) Cette fois, la presse trouva qu'on était allé trop loin et ne craignit pas de le dire. Quelques années plus tard, à propos de scènes analogues, qu'il déplorait comme étant de nature « à donner une fâcheuse idée de la politesse et de l'urbanité des Lyonnais, le Courrier de Lyon (4) osait proclamer « qu'on n'a pas le droit d'outrager un comédien parce que son talent déplaît » ; et il ajoutait : « Est-il donc un esclave et cesse-t-il d'être un homme i Et la femme qui se montre sur la scène perd-elle donc tous droits aux égards dûs à son sexe i ». Louables, mais vaines objurgations, qui faisaient honneur au bon sens et au bon cœur des critiques d'alors, mais auxquelles le public fermait l'oreille, aussi bien, du reste, il faut le dire, le public élégant des premières places que celui du parterre. (1). Journal du Commerce du 14 novembre 1827. (a). Glaneuse du 9 octobre 1832. (3). Glaneuse du 9 octobre 1832. (4). Courrier de Lyon du 29 avril 1837,