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     A l'ouverture de la saison 1839-40, la forte chanteuse de grand opéra avait nom
Mlle Saint-Ange, et devant les dispositions non équivoques du public à son égard,
elle dut, au bout de peu de jours, résilier son engagement. Le 16 mai, où elle jouait
Robert le Diable, ce fut, d'un bout à l'autre de la soirée, un tapage infernal. Le maire,
du haut de sa loge, essaya d'imposer le silence et y réussit momentanément ; mais,
avant la fin du cinquième,acte, il fallut faire évacuer la salle. Le 10 mai, à son premier
début dans la Juive, la malheureuse avait eu un avant-goût du sort qui l'attendait. On
lui avait jeté des ordures du haut d'une loge, grossière inconvenance que le Courrier
de Lyon avait, avec raison, flétrie : « On n'a pas le droit, disait-il, d'outrager une fem-
me » (1).
      Ce langage, conforme à celui que le même journal tenait deux ans plus tôt, était
plus raisonnable que celui du Journal du Commerce de 1825, ciut Je rapportais tout à
l'heure. Il est vrai que, dans l'intervalle, s'était produite la Révolution de 1830, et que
cet heureux changement dans les dispositions de certains esprits pouvait s'expliquer
par son influence. Mais les réflexions mêmes du critique de 1837 et de 1839 ne sont-
elles pas la démonstration éloquente que dans la masse du public aucun progrès ne
s'était accompli?1 Les Trois Glorieuses avaient emporté le trône des Bourbons : la
royauté absolue du parterre leur avait survécu.

                                            m
     Pour acheter les faveurs de cet implacable tyran, les artistes en arrivaient parfois à
de singulières complaisances.
     En 1832, la direction Singier touchait à son terme, et le conseil municipal,
comme on a pu le lui reprocher d'autres fois depuis lors, mettait quelque lenteur à lui
désigner un successeur. La saison prenait alors fin le 20 avril, pour se rouvrir dès le
lendemain ; on était à un mois de la clôture et aucune décision n'avait encore été prise
par l'autorité compétente. Le danseur comique de la troupe, Girel, dont les pitreries
étaient fort goûtées du parterre, s'avisa de tirer de la situation le motif d'une scène
d'actualité, qui avait la prétention d'être plaisante, et qui est ainsi décrite par un
journal d'alors (2) :
     « Au cours du ballet du Déserteur, où il figurait ce soir-là, Girel est apparu déguisé
en conseiller municipal. Il a amené un catafalque à roulettes, où il a placé les génies de
la Comédie, de l'Opéra et du Ballet qui demandaient la vie. Une légère flamme brillait
sur le front du génie du Conseil municipal ; il l'a éteinte avec un chapeau de jésuite. Il
l'a mis, à son tour, sur le catafalque, et le convoi est parti pour le cimetière, ascorté de
petits enfants représentant Alexandre Dumas, Auber, Rossini et autres, fondant en
larmes. Le public a beaucoup ri et applaudi ».
     Le journal concluait en exprimant la crainte que cette scène de parodie satirique
n'exposât le danseur à la vindicte du conseil municipal. Il ne semble pas cependant

    (1). Courrier de Lyon du 15 mai 1839.
    (3). Glaneuse du 35 mars 1833.