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I 10 LA CHASSE A L ' A B O N N E Quelques journaux ont eu l'idée géniale de faire des plébiscites : Faut-il encourager chez les femmes l'usage du corset? — Quel est l'opéra préféré? — Quelle forme de chapeau convient le mieux au visage masculin? — Quel est, de Coppée ou de Sully-Prudhomme, celui qui a la plus large envolée ? — A quelles mesures faut-il avoir recours pour augmenter le nombre des naissances en France ? — Quelle est l'influence de la taille sur le génie et, vice versa, du génie sur la taille ? Autant de questions qui vous paraissent inutiles ou frivoles! Détrompez-vous. Transformé en juge, le lecteur, — à l'inverse des juges de profession, — ne dort plus, et, dans ses nuits sans sommeil, sa pensée se reporte obstinément vers le journal qui le met ainsi à la question : le but souhaité est atteint. Un journal spirite, — ne lisez pas : spirituel, — s'est avancé jusqu'à gratifier ses abonnés d'un ticket en échange duquel ils pouvaient, —- une fois par semestre, — se mettre en rapport avec une grande intelligence de l'autre monde. Il suffisait pour cela de se présenter, — à de certaines heures, — au bureau de la rédaction et de demander la communication avec Pépin le Bref, le chancelier d'Agues- stau, Voltaire, Lafayette, Cambacérès^ Napoléon I er ou Gambetta. Ces messieurs y allaient de leur petite entrevue, même les dimanches et fêtes. Quelques abonnés, — probablement moins spirites que les autres, -— finirent par s'apercevoir que c'était toujours le même esprit qu'on leur servait : celui des rédacteurs du journal.