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226 UNE PAGE DE LA VIE LYONNAISE « M. de Montmorency vint passer quelques jours avec moi à Coppet; et la méchanceté de détail du maître d'un si grand empire est si bien calculée qu'au retour du courrier qui annonçait son arrivée chez moi, il reçut sa lettre d'exil. — L'Empereur n'eût pas été content, si cet ordre ne lui avait pas été signifié chez moi et s'il n'y avait pas eu, dans la lettre même, un mot qui indiquât que j'étais la cause de cet exil... Je poussai des cris de douleur en apprenant l'in- fortune que j'avais attirée sur la tête de mon généreux ami... « M. de Montmorency, calme et religieux, m'invitait à suivre son exemple; mais la conscience du dévouement qu'il avait daigné montrer, le soutenait; et moi, je m'accu- sais des cruelles suites de ce dévouement, qui le séparaient de sa famille et de ses amis. « Dans cet état, il m'arrive une lettre de Mmc Récamier, de cette belle personne qui a reçu les hommages de l'Eu- rope entière et qui n'a jamais délaissé un ami malheureux. — Elle m'annonçait qu'en se rendant aux eaux d'Aix en Savoie, elle avait l'intention de s'arrêter chez moi et qu'elle y serait dans deux jours. — Je frémis que le sort de M. de Montmorency ne l'atteignît. Quelque invraisemblable que cela fût, il m'était ordonné de tout craindre d'une haine si barbare et si minutieuse tout ensemble et j'envoyai un courrier au-devant de Mme Récamier, pour la supplier de ne pas venir à Coppet. Il fallait la savoir à quelques lieues, elle qui m'avait constamment consolée par les soins les plus aimables ; il fallait la savoir là , si près de ma demeure, et qu'il ne me fût pas permis de la voir encore, peut-être pour la dernière fois! Je la conjurais de ne pas s'arrêter à Coppet, elle ne voulut pas céder à ma prière : elle ne put passer sous mes fenêtres, sans rester quelques heures avec moi, et c'est avec des convulsions de larmes que je la vis