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I 16          UNE PAGE DE LA VIE LYONNAISE

méchante ; elle a de l'esprit, beaucoup d'esprit ; mais elle
n'est accoutumée à aucune espèce de subordination.
   « Votre mère n'aurait pas été six mois à Paris, que je
serais forcé de la mettre à Bicêtre ou au Temple; j'en
serais fâché, parce que cela ferait du bruit, cela me nuirait
un peu dans l'opinion.
   « Ainsi dites bien à votre mère que, tant que je vivrai,
elle ne rentrera pas à Paris. — Elle ferait des folies, elle
verrait du monde, elle dirait des plaisanteries ; elle n'y
attache pas d'importance ; mais moi j'en mets beaucoup.
Je prends tout au sérieux... Paris, c'est là que j'habite ; je
ne l'y veux pas... Si je l'avais mise en prison, j'en revien-
drais, mais de l'exil, non.
   « Tout le monde comprend que la prison c'est un
malheur ; il n'y a que votre mère qui soit malheureuse,
quand on lui laisse toute VEurope (3). »

   Il savait bien ce qu'il faisait en interdisant à cette reine
des salons fiançais ce petit coin de l'Europe, le cœur de la
France ; il savait bien que cette femme, à l'âme virile, était
vulnérable par son goût pour la société, et spécialement
pour la société française ; il savait tout le prix qu'elle atta-
chait à cette parole de Montaigne, parole qu'elle aimait à
redire : « Je suis Française par Paris. » N'entendons-nous
pas résonner encore à nos oreilles cet aveu échappé durant
ses années d'exil ?

   « Le fantôme de l'ennui m'a toujours poursuivie, et
c'est par la terreur qu'il m'inspire que j'aurais été capable
de plier devant la tyrannie, si l'exemple de mon père et


  (3) Umt Lenermant : Coppet et Wtimar, p. 122.