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502 LE SONGE D'UNE NUIT D'HIVER pouvait en faire, mais quel talent il aurait fallu pour lui faire affronter le grand jour, sans lui enlever ses parfums de grâce native et de tendre spontanéité ! Le langage qui se tient entre deux cœurs, dont chacun d'eux comprend les mystères, est sujet à trop de fausses interprétations pour pouvoir être présenté tel quel en public. Certes Lisbeth avait plus que personne le sentiment du devoir, et la tendresse de son cœur n'en avait jamais voilé la pureté du plus léger nuage, mais les lettres d'une femme ne sont-elles pas une partie intime d'elle-même? N'ont-elles pas leur pudeur comme celle qui les a écrites et, même au bout d'un long laps de temps, même sous un déguisement romanesque, ne serait-ce pas une offense à de purs souve- nirs de les livrer à l'indiscrète curiosité du public ? Claude passa en revue les jours si rapidement écoulés où il avait pu la voir et l'entendre, et les promenades qu'ils avaient faites en famille dans les environs de Menton. Une de ces promenades surtout lui rappelait d'ineffables souvenirs. On était allé, en nombre et en joyeuse partie d'ânes, à Beaulieu et à la presqu'île Saint-Jean. On suivit les sentiers du golfe bordés de myrtes et de lentisques. On dîna sur l'herbe, à l'ombre des oliviers, près d'une vieille tour mauresque, tapissée de lierre et riche de légendes. A Saint-Jean, on trouva sur la route une jeune marchande, au pittoresque costume génois, qui vendait de menus objets en filigrane de son pays. Lisbeth ayant arrêté ses regards sur une petite croix, d'une forme originale, Claude s'em- pressa de la lui offrir, et comme ce présent n'avait pas d'autre valeur que celle qu'il empruntait à leurs sentiments secrets, la jeune fille ne crut pas devoir le refuser. Le soir, quand on revint à Nice, la soirée était admirablement belle et les fugitives clartés produites par le vol de milliers de