Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
[ Revenir aux résultats de la recherche ]
page suivante »
               LE SONGE D'UNE NUIT D'HIVER                503

lucioles, lui donnaient un caractère fantastique et couron-
naient comme d'un doux et discret feu d'artifice, cette
journée de fête.
   Toute cette période revivait, rêve suave et douloureux,
dans ces pages qu'il avait là en main, qu'il effeuillait comme
le roman le plus intime de sa vie et qui, successivement
jetées dans le foyer, s'en allaient en flamme bleue, vrais
feux follets du cimetière de son âme, dans le silence du
pavillon, sous les yeux absents de l'autre Lisbeth et des
crânes préhistoriques de là-haut.
   Claude cherchait à ressaisir ses pensées qu'emportait la
folle du logis. Celle-ci lui faisait de petites et nuageuses
homélies sur le néant des choses humaines, mêlées de
réflexions malignes. Te rappelles-tu tes aspirations, quand tu
étais petit ? Ta pensée, à peine éveillée, se répandait en rêves
d'ambition démesurée. Rien n'était assez grand, assez beau,
pour tes appétits désordonnés. La richesse, les honneurs,
la puissance t'apparaissaient comme naturellement dus. Tu
rêvais une femme idéale, éternellement belle et soustraite à
toutes les infirmités humaines. Tu espérais pénétrer tous
les secrets de la nature. La réalité t'a appris à décompter.
Mais il t'a fallu bien du temps pour reconnaître que tes
prétentions sortaient du cadre de l'humaine destinée, pour
t'apercevoir qu'il n'y a pas de joie sans douleur, pas de
santé sans maladie, comme il n'y a pas de clarté sans
ténèbres, pas de sagesse sans imbécillité, pas d'amour sans
oubli. Sais-tu ce qu'elle est devenue? Tandis que tu t'atten-
dris encore à son souvenir, elle dort peut-être très paisible-
ment à côté d'un excellent mari, au milieu de beaux et
nombreux enfants. Ainsi va le monde. On s'obstine à croire
à des sentiments éternels, qui durent au plus quelques
matinées, et contre lesquels proteste la nature éternelle- ••