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                        EUGENE LE MOUEL                      319

   Delille, qui fut un bon écrivain, n'en déplaise à quelques
critiques, aurait reconnu en M. Eugène Le Mouël, un frère,
un passionné de paysages et de fleurs.
   Seulement, tandis que le premier inspire sa Muse du
spectacle des boulingrins et des parcs solennels dessinés par
« Le Nôtre », le second conduit la sienne dans les solitudes
et les calmes plaines du pays breton, pour qu'elle y chante
en toute liberté.
   En effet, ce n'est point, parmi les rosiers aux fleurs
épanouies que M. Le Mouël laisse courir ses doigs sur la
lyre d'or. Sa Muse agreste est couronnée de genêts, de ces
pâles genêts fouettés par les vents du large, couvrant les
landes qui, sous un ciel mélancolique, s'étendent pendant
des lieues et donnent un charme si pénétrant à ce pays
breton aimé de Brizeux.
   Après Brizeux et bien d'autres délicats poètes ( i ) , M. Le
Mouël a célébré la Bretagne. Il a compris que tout n'était
pas dit sur elle, que ses bois, sa mer et ses légendes étaient
d'inépuisables sujets à exploiter. Et voici qu'il s'est mis à
chanter, lui aussi, une chanson naïve et charmante, qui
met des larmes dans les yeux et dont les accents sont inou-
bliables.
   Ah! nous sommes loin de cette « éloquence harmo- '
nieuse » dont on a qualifié parfois la poésie. J'ose prétendre
qu'en cette circonstance, nous avons tout aussi bien, car,
outre la sincérité des impressions locales et l'eurythmie
d'une œuvre élégante, nous trouvons chez M. Le Mouël
une grande simplicité de sentiments. Et chose rare en notre
époque d'obscurité et de néologismes! — le tout rendu en
un style aussi simple qu'harmonieux.


  (1) Cf. Le Parnasse breton contemporain. Paris, Lemerre.