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432 CHARLES BAUDELAIRE Quand on rapproche d'une si triste fin la première jeu- nesse de Baudelaire, et de cette horrible nuit une si brillante aurore, on se sent saisi d'une profonde pitié; mais il s'y mêle, il faut bien le dire, une vraie colère pour le milieu néfaste où tant d'espérances de bonheur se sont changées en germe de mort. — Et la gloire, diront quelques-uns! — La gloire? elle ne console pas ceux qui ont aimé Baudelaire. D'ailleurs, il est trop vrai que ce goût de l'extraordinaire, du bizarre, des sentiments excep- tionnels, des idées excentriques, n'a pas été moins funeste à cette gloire du poète qu'à la santé physique et morale de l'homme. Sainte-Beuve, nous l'avons vu, lui en faisait le reproche au point de vue purement littéraire. Le grand critique, d'une clairvoyance si pénétrante, devinait, dans les applaudissements qui accueillirent les Fleurs du Mal, la part de la surprise et de l'enthousiasme passager d'une jeunesse avide des nouveautés. Cette renommée, par sa nature même, était frappée de caducité ; elle n'a pu se soutenir, car le goût public change vite, surtout pour les curiosités en toutes choses. La critique actuelle se montre en général sévère pour Baudelaire. Ses blasphèmes à froid, imités de Léopardi, choquent les moins croyants ; et les purs lettrés lui reprochent d'avoir inauguré cette école du bizarre, qui s'épanouit aujourd'hui sous les noms d'impres- sionnistes, de décadents, de déliquescents, que sais-je encore ? et qui finit par devenir un véritable outrage au bon sens français. Et combien d'autres raisons de déplorer la déviation d'une si belle intelligence, d'une âme naturellement noble ! Baudelaire valait mieux que ses écrits, il valait mieux que sa vie. De ce côté aussi le goût du bizarre l'a perdu. A le lire, on est tenté de le croire profondément vicieux; n'a-