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ÉTUDE SUR DON QUICHOTTE ET PICKWICK-CLUB l8l Et cependant, à y regarder de près, il nous semble dis- tinguer entre le chef-d'œuvre de Cervantes et celui de Dickens des ressemblances qui l'emportent sur les diffé- rences. Elles nous autorisent presque à supposer que l'auteur anglais en écrivant son livre a pensé à son illustre prédécesseur; qu'il a conçu, peut-être inconsciemment, une œuvre analogue, transportant dans l'atmosphère bru- meuse de l'Angleterre et dans le monde affairé de ses compatriotes le thème créé jadis par Cervantes pour les routes ensoleillées de l'Espagne, ses hidalgos, ses auber- gistes, ses étudiants et ses muletiers. Des deux côtés le cadre est le même et les héros se ressemblent. De part et d'autre c'est un honnête homme, généreux, loyal, dévoué, mais un peu fou. Fou, dis-je, sur un seul point, et de la folie la plus douce, la plus excu- sable, on pourrait dire la plus honorable ; puisque dans les deux cas c'est un rêve de gloire et d'humanité, l'excès chez l'un de la pitié envers les faibles et du désir de les protéger, chez l'autre du zèle encore pour l'humanité, et en outre pour la science et pour le progrès. Ici et là ce sont deux amoureux d'un idéal mal entendu, du moins à divers degrés. Et à côté de l'un et de l'autre, trait bien significatif, il y a un personnage tout différent qui représente la raison positive, pratique, terre à terre, faisant sans cesse avec cet idéalisme excessif le contraste le plus plaisant. Don Qui- chotte a près de [lui Sancho Pança, M. Pickwick a Samuel Weller ou Sam ; la prose à côté de la poésie, les soucis vulgaires de la vie et le grossier bon sens tempérant les aspirations les plus hautes de l'âme ; les plus hautes, dis-je, mais aussi dans les deux cas les plus chimériques. Don Quichotte, petit hobereau qui vit chichement dans sa pauvre châtellenie, s'est absorbé dans la lecture des