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l82   ÉTUDE SUR DON QUICHOTTE ET PICKWICK-CLUB

romans sur la chevalerie errante. Il s'est échauffé l'imagi-
nation au récit des aventures de ces illustres vagabonds qui
parcouraient le monde, comme autrefois Hercule parcou-
rait la Grèce primitive, cherchant partout pour les com-
battre et les exterminer d'autres espèces de monstres, le
mal et la violence sous toutes leurs formes. Rien de plus
beau et de plus noble à l'origine. Au moyen âge, dans ces
sociétés naissantes où la loi du plus fort était seule respec-
tée, le dévouement chrétien avait conçu et adopté ce beau
rôle de mettre la force et la valeur au service de la faiblesse
et du droit. Le chevalier, c'était la justice ambulante, qui
allait cherchant la victime pour la protéger, les méchants
pour les châtier ; terrible à qui faisait le mal, clémente et
secourable à l'innocent. Mais peu à peu le monde a
marché ; la société s'est transformée ; elle s'est organisée,
s'est assise dans un ordre et une légalité relative qui lui
donnent, en échange d'une poésie de plus en plus suspecte,
une bien plus haute dose de bien-être et de sécurité. Désor-
mais, ce n'est plus la lance des chevaliers errants qui fera
régner la justice sur la terre; il y a pour cela des juges et
des tribunaux. A quoi servirait de courir les grandes routes
pour arrêter les malandrins ? C'est affaire à la maréchaussée
et à la Sainte-Hermandad. Les Amadis et les Galaor n'ont
plus de raison d'être, leur rôle est fini. Ils ne seraient plus
qu'un obstacle, un embarras, un danger.
   Voilà ce que Don Quichotte n'a pas compris. L'esprit
troublé par les beaux récits d'un âge expiré, récits enjolivés
par l'imagination fantasque des conteurs, il croit de bonne
foi à sa mission de pourfendeur des méchants et de protec-
teur des humbles. Les yeux fixés sur cet idéal, il part en
guerre ; et dès ses premières courses commet mille bévues
qui lui attirent mille inconvénients. Il prend un pauvre