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LETTRES D'HIPPOLYTE FLANDRIN 349 longtemps je ne vous reverrai ! nous ne verrons pas ensemble ce beau pays et les chefs-d'œuvre de ses artistes ! nous ne pourrons pas au retour confondre nos souvenirs ! Oh, j'espère que vous ne me direz pas toujours non, et qu'enfin vous croirez la chose possible. Cette espérance me rend mon exil moins pesant. C'est un exil qui m'offre des choses admirables, je le sais, mais rien ne peut remplacer un père, une mère, un ami comme vous. Mes frères, j'es- pérais les voir venir bientôt, et voilà que je crains que ce bonheur ne me soit refusé longtemps encore. — On n'est pas assez fort tout seul : il faut un ami. Je le sens au moins lorsqu'on manque de courage ; il vous en donne. On s'excite mutuellement. Je reçois à l'instant (aujourd'hui 10 juin), votre lettre et celle de mes frères. — Je les lis et relis, je vais de l'une à l'autre. Elles me causent un plaisir infini et me remplissent de courage. Jamais je ne suis si bien en train de travailler que lorsque je viens de recevoir une lettre, parce que vous me parlez d'art et de beauté et que j'y réponds de tout mon cœur. Je suis affligé de ce que vous me dites que dans deux mois vous partez pour Lyon. Comme le temps passe! Pourquoi ne me dites-vous rien de ce que vous faites, non plus que votre frère et Chavard ? Cependant j'aimerais bien à le savoir. Mille choses de ma part à votre frère, et serrez vigoureusement la main à mon bon Chavard. — Je vous reproche de ne pas me dire ce que vous faites et moi j'ou- bliais de vous dire à quoi je m'occupe. — Je fais en ce moment des études d'après nature et surtout des têtes, puis des morceaux ou des croquis d'après Raphaël et Phidias. Je fais aussi une figure grande comme nature. Je suis seul absolument, personne n'entre dans mon atelier. — Car, N » j . - Mai 1888. 23