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LA BOUCLE D'OR 287 monie, sa voix criarde s'assouplit, et même le précoce duvet qui se montrait au coin de sa lèvre semblait n'être venu là que pour velouter son sourire. Je ne voudrais pas, cependant, idéaliser outre mesure notre héroïne. La Garite — ce diminutif lyonnais de Mar- guerite était son petit nom — la Garite n'était, au demeu- rant, qu'une fort jolie devideuse, à laquelle il eût fallu un autre milieu et d'autres contacts pour dépouiller certaine vulgarité originelle. A mesure qu'elle avait pris de l'âge, Jean Michel n'avait pas été sans subir le charme de cette fillette à qui, dans son enfance, il avait complaisamment enseigné les premiers éléments du quadrille. Mais il l'admirait, pour ainsi dire, à distance, se sentant séparé d'elle moins encore par la fortune que par l'éducation et le rang : en effet, elle portait chapeau ! C'était alors une grosse affaire. Renchérissant sur toutes- les autres distinctions sociales, le port de la capote ou du bonnet divisait les femmes en deux castes bien tranchées. L'avènement du chapeau rond a facilité la fusion; on peut même dire que cette coiffure, en ce qui concerne les Françaises, a plus fait pour l'égalité que la prise de la Bastille. D'autre part, Garite Bonin, bien qu'elle n'eût que dix- sept ans sonnés, était déjà très entourée et plus d'un prétendant s'était même déclaré. Entre tous, il en était un, fils d'un fabricant de soierie — d'un « négociant », suivant le terme reçu — dont les parents avaient une location d'été dans un des clos contigus. C'était un-garçon de bonnes manières, parfait danseur autant que Jean Michel et, de plus, recherché comme chanteur. A cette époque et dans ce milieu, il était d'usage