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288 LA BOUCLE D'OR qu'en toutes réunions, dîner ou soirée, chacun « chantât la sienne ». Mais une maîtresse de maison n'en prisait pas moins ceux de ses invités qui payaient plus largement leur écot, toujours prêts à dire une romance ou une chanson nouvelle. Or, M. Julien ne se faisait jamais prier, et c'est à lui que l'on devait d'avoir savouré, dans leur primeur : Enfants n'y touchez pas, les Feuilles mortes, les Quatre âges du cœur, et tant de choses qu'il traduisait avec un sentiment dont les plus prévenus ne pouvaient se défendre. « Et ce n'est rien encore, s'écriait Mme Bonin, il faut l'entendre s'accompa- gnant au piano. » En disant ainsi, Mme Bonin parlait de confiance, car elle n'avait jamais mis les pieds dans une maison où il y eût un piano, instrument réservé aux salons du grand monde. Chez les gens de moindre état, on dansait au violon, et, ce qui pourra surprendre, il se trouvait presque toujours quelques jeunes gens assez familiers avec cet instrument pour que le quadrille ne chômât pas. A défaut, il y avait encore l'accordéon, et, au surplus, pour un cachet de trois francs, on se procurait un maître à danser, avec sa pochette, ou un musicien de profession. Jean Michel enviait du fond du cœur M. Julien, pour sa prestance, ses belles tenues et, surtout, son talent de chan- teur. Faire des vers est moins commun que savoir chanter; mais à la qualité de poète il s'attache aisément un peu de ridicule. On lit dans un livre la poésie imprimée ; hors de là , c'est chose surannée. Aux âges primitifs, vers, musique et danse ne se séparaient pas, la musique et la danse n'étant que la manifestation extérieure du rythme poétique. Hélas ! le trio est depuis longtemps rompu, la danse est répudiée comme un art inférieur et le vers, lorsqu'il se trouve