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LA BOUCLE D'OR 283 Jean Michel avait été placé, dans sa quinzième année, apprenti chez des tisseurs de la Croix-Rousse. De sa mère, morte lorsqu'il avait quatre ans, il n'avait gardé qu'un très vague souvenir. Son père, André Michel— ce surnom de Michel, ils le portaient tous dans la famille et n'étaient guère connus sous leur véritable nom — son père, au bout d'un temps de veuvage, s'était mis à vivre avec une chan- teuse d'un café des Célestins et était enfin parti avec elle à l'étranger. Ce père était lui-même issu d'une famille de paysans, à Poleymieux. Mais, de sa souche rustique, il n'avait hérité ni l'âpreté au travail ni l'ardeur au gain, n'aimant qu'une chose au monde : la musique. D'où vient qu'il naît parfois des âmes, comme des fleurs, dans les milieux les moins aptes à les produire? C'est le secret de Dieu. Des savants qui expliquent tout prétendront, je le sais, que dans le cas d'André Michel il y avait de l'atavisme. Peut-être comptait-il parmi ses aïeux, en remon- tant à quinze ou vingt siècles en arrière, un colon venu des campagnes d'Ionie ou des bords de l'Eridan, chantant d'amoureuses idylles en la langue de Virgile ou de T h é o - crite. Plus tard, d'une goutte de ce sang, serait sorti quelque trouvère, disant les gestes des preux au temps de la croisade; puis un ménétrier, à l'âge des Valois ou de Louis le Bien-Aimé, sur la viole réglant les rondes des pas- toures ou le menuet cher à nos grands-mères. Quoi qu'il en soit, André passait aux champs son temps à faire des sifflets, et, à l'église, il se livrait, de concert avec l'ophicléide paroissial, à des fioritures et des accords dont s'émerveillait l'assistance. Le curé décida les parents à le mettre au petit séminaire,maisiln'y avait pas chez l'enfant ombre de vocation religieuse. Comme il se refusait Ã