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                      LA BOUCLE D'OR                     28 [

familier ou accidentellement échappé, un détail de la toi-
lette, un fait parfois insignifiant.
   Ce jour-là, je revis Jean Michel, dès qu'il se fit recon-
naître, accomplissant chaque dimanche, entre quinze et
seize ans, le trajet de la Croix-Rousse à Poleymieux, dans
des conditions qui ne manqueront pas de sembler ridicules
à la génération actuelle.
   Vous savez qu'en langage économique, on appelle effort
cet acte indispensable qui se place entre tout besoin ou
désir et la satisfaction. De nos jours, pour peu qu'ils sen-
tent dans leur poche — ou dans une poche où ils ont accès
— la somme représentative d'une satisfaction quelconque,
les jeunes gens se dispensent d'emblée de tout effort : c'est
un des points faibles de l'éducation moderne. Eh bien, Jean
Michel, apprenti canut, n'avait pas à sa disposition le sou
nécessaire pour acquitter le péage du pont de l'Ile-Barbe; il
était trop fier pour l'accepter de qui que ce soit, et voilà
pourquoi il se rendait de la Croix-Rousse à Saint-Rambert,
en faisant le tour par le vieux Pont de pierre, seul pont sur
la Saône dont le passage fût alors gratuit.


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   La connaissance une fois renouée, les questions se pres-
sèrent de part et d'autre, et l'interrogation d'usage fut
échangée : « Vous êtes marié? Vous avez des enfants? »
En me répondant, Jean Michel tenait ses yeux sur une
une boucle d'or enfilée, en manière de breloque, à sa chaîne
de montre : ce n'était pourtant pas un bijou féminin, mais
plutôt un de ces anneaux d'oreille, comme en portaient
autrefois les garçons.