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440         UNE SOIRÉE DANS L'AUTRE MONDE

balançant en avant et en arrière. Cinq ou six d'entre eux,
assis devant le cheik, les accompagnaient d'une mélopée
sauvage, martelée de coups de tam-tam et de derbouka.
Rien ne peut donner une idée de l'impression produite par
ce chant aux assonnances bizarres, reprenant sans trêve la
même phrase à pleine voix, sur le ton le plus aigu, pour
retomber en notes sombres et gutturales, planant au-dessus
des cris forcenés des danseurs.
   Ceux-ci ruissellent bientôt de sueur, mais le rythme
de plus en plus précipité les entraîne inexorablement,
leurs têtes oscillent en mesure comme détachées de
leurs corps, leurs cris se changent en rauques hurle-
ments profonds et spasmodiques, qui semblent arrachés
du fond de leur poitrine par une souffrance horrible ;
l'écume à la bouche, ils bondissent sur place comme
ivres, inconscients, les yeux fixes et hagards. Un d'entre
eux quitte les rangs et s'élance vers le cheik, qui lui remet
de longues alênes d'acier. Il s'en perce les joues et la face
toute hérissée de lames sanglantes, la langue hors de la
bouche, traversée en plusieurs endroits de part en part, il
continue à sauter dans un ravissement extatique. Épuisé,
il s'arrête, arrache les alênes et tombe aux pieds du cheik
qui l'embrasse et passe la main sur ses blessures qui se
referment aussitôt. Un autre le remplace et accourt demi-
nu. Il reçoit une broche longue comme la moitié d'un fleu-
ret d'escrime et de même grosseur. Il l'enfonce dans son
corps obliquement à la hauteur du nombril ; sa main hésite,
mais l'iman, à coups de maillet, frappe à coups redoublés
sur le manche de la lame qui pé»ètre peu à peu. La pointe
apparaît sous la peau du côté; un dernier coup, et san-
glante, elle sort d'un demi-pied. Sur le visage du patient
la même expression d'extase ; même plus, de jouissance