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98 SUL1.Y-PRUDHOMME On a dans l'âme une tendresse Où tremblent toutes les douleurs ! Et c'est parfois une caresse Qui trouble et fait germer les pleurs (2). Citons encore, comme exemple de l'élévation de la pen- sée, du dédain de tout ce qui est bas et vulgaire, le très joli sonnet de la Coupe. Dans les verres épais du cabaret brutal, Le vin bleu coule à flots et sans trêve à la ronde ; Dans les calices fins plus rarement abonde Un vin dont la clarté soit digne du cristal. Enfin la coupe d'or du haut d'un piédestal Attend, vide toujours, bien que large et profonde, Un cru dont la noblesse à la sienne réponde : On tremble d'en souiller l'ouvrage et le métal. Plus le vase est grossier de forme et de matière, Mieux il trouve à combler sa contenance entière ; Aux plus beaux seulement, il n'est point de liqueur. C'est ainsi : plus on vaut, plus fièrement on aime; Et qui rêve pour soi la pureté suprême D'aucun terrestre amour ne daigne emplir son cœur (3). Une dernière publication de Sully-Prudhomme, le Prisme, réunit en quelque sorte les divers aspects de ses premières œuvres. Formé de pièces de date assez différente, ce recueil n'est point cependant un assemblage disparate. C'est une réduction, où chaque trait se retrouve, en proportions moins amples, mais avec une expression fidèlement repro- duite. Les impressions fugitives de la Muse qui s'abandonne (2) La Vie intérieure. Rosées. (3) Les Vaines tendresses. La Coupe.