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ET LA POÉSIE PHILOSOPHIQUE 99 à l'inspiration du moment y ont leur place et l'occupent non sans quelque charme. La rêverie est de courte durée : Frêle plaisir que la raison défend, Elle est pareille à la bulle azurée Qu'enfle une paille aux lèvres d'un enfant... Miroir limpide et mouvant, toutes choses Y font tableaux passagers et tremblants; Les monts lointains et les prochaines roses Et l'infini se mirent dans ses flancs (4). L'enthousiasme pour les arts, le culte du beau s'exprime, comme presque toujours chez Sully-Prudhomme, sous une forme sévère et tant soit peu abstraite. Ce n'est point une simple jouissance que le poète recherche dans la contem- plation d'un tableau de maître ou d'une belle statue antique, a suprême ambition est d'enfermer une pensée philoso- phique dans l'étroite limite d'un vers vigoureusement frappé. Aussi la sculpture, telle que la conçoivent les modernes, avec cette absence de couleurs qui donne au ciseau du statuaire la faculté de rendre ses conceptions, en faisant aux illusions des sens la part la plus restreinte, est l'objet de ses prédilections particulières. Saluons donc cet art qui, trop haut pour la foule, Abandonne des corps les éléments charnels, Et, pur, du genre humain ne garde que le moule, N'en daigne consacrer que les traits étemels (5). Cet amour des formules, même dans le domaine si libre de l'art, nuit un peu au charme des vers. La pensée a (4) La Rêverie. Prélude. (5) Devant la Venus de Milo. Prélude.