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ET LA POÉSIE PHILOSOPHIQUE . 97 mêmes sons comme pour réciter, en l'honneur de sa dame, je ne sais quelles litanies de l'amour et de la beauté, con- damnés à exprimer des doutes, à raconter les angoisses d'une pensée qui cherche l'idéal et ne le trouve nulle part, au premier abord, quelle profanation ! Et cependant, en y réfléchissant, pourquoi pas ? C'est un emploi nouveau du sonnet, mais il se justifie. Dans sa forme brève, dans ses limites si étroitement définies, il convient tout aussi bien à une question qu'à un élan d'amour. Il donne à un pro- blème la forme précise de ses contours si nettement arrêtés. Pour enfermer en ce peu de vers toute une alternative philosophique, il faut la réduire à ses éléments les plus essentiels. C'est comme une feuille métallique qu'on veut faire passer au laminoir. Il faut en bien calculer les dimen- sions et la résistance. Ainsi s'établit une sorte de dialogue, on dirait presqu'à l'imitation des anciennes disputes de Sorbonne, entre deux interlocuteurs qui représentent, l'un les objections du doute, l'autre les réponses du sentiment. L'incertitude, l'ironie, la négation remplissent les sonnets qui sont l'œu- vre du premier personnage que Sully-Prudhomme appelle le Chercheur. A ce sonnet une voix mystérieuse oppose, en trois quatrains et demi, ces vieilles raisons que le cœur alléguera toujours et que l'humanité croit encore, parce que le besoin de croire et d'aimer dominera toujours les arguments du scepticisme. Mais, dans les deux derniers vers du dernier quatrain, le Chercheur reprend la parole, et en deux vers froids, incisifs, détruit l'œuvre commencée, pose un nouveau doute, et ces deux vers appellent le son- net suivant, où ce nouveau doute prend corps et se déve- loppe ; voilà le sorite. Ces deux vers sont souvent d'une force remarquable. Ils font penser au mot de Démosthènes "K0 2. — Août 1886. 7