page suivante »
98 SULLY-PRUDHOMME sur Phocion : « Voilà la hache de mes discours qui se lève. » Ils ont, en effet, bien souvent le tranchant du fer pour anéantir toute cette éloquence émouvante et confuse de nos sentiments. Mais à la différence des mots brefs et sensés de Phocion, ils ne sont pas toujours les arguments d'un vrai sage. Le style de la Justice est souvent fort vigoureux. Il est un remarquable exemple de ce qu'il peut y avoir parfois de poésie véritable au sein d'idées abstraites, et de relief dans un style où manque la couleur. C'est un dessin au simple trait, un crayon, si Ton veut, mais un crayon manié par un maître, et sous mainte esquisse on sent la passion qui a fait vibrer la main de l'artiste. Par contre, cette force trop régulière est monotone; cette précision confine parfois à la sécheresse, à la manière ou à l'obscurité. Ce n'est point évidemment un livre fait pour la foule, pas plus que les syllogismes de Spinosa auxquels il nous fait songer. Dans la première partie, intitulée Silence au cœur, l'auteur cherche en vain la Justice ; il ne la trouve ni dans les espè- ces où une guerre implacable sacrifie aux pousses les plus vigoureuses, aux animaux les plus forts tout ce qui est faible et impuissant; où la nutrition de l'un est la destruc- tion de l'autre ; où la mort de ce qui disparaît est la condition unique et fatale de l'existence de ce qui survit. Il en est de même entre individus, il en est de même entre Etats. Les civilisations luttent entr'elles comme les plantes; les races s'entretuent comme les animaux s'entredévorent, et ce que nous nommons le progrès est l'accumulation féconde d'un nombre incalculable de morts et de misères, comme l'hu- mus qui nous nourrit est l'entassement des cadavres des animaux et des débris des plantes. Et qu'opposer à ce fatalisme ? La liberté de l'âme. Qui