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ET LA POÉSIE PHILOSOPHIQUE 87 table. La traduction de Sully-Prudhomme est plus littérale, se dérobe moins au terme technique, recourt plus rarement aux périphrases. On sent qu'une foule de termes, que nul n'aurait osé jadis faire entrer dans les vers, y ont reçu droit de cité. C'est le résultat des libertés conquises par l'école romantique; c'est même la conséquence des efforts purement descriptifs des réalistes modernes. Poètes à courte inspiration, ils n'ont pas, comme nos grands classiques, sondé les dernières profondeurs de l'âme humaine, mais ils ont admirablement fouillé le vocabulaire. Pour varier les effets, pour multiplier les mesures, pour exprimer l'infinie variété de cette écorce de toutes choses au-dessous de laquelle ils ont si rarement pénétré, ils ont cherché dans notre langue toutes les combinaisons qu'elle était suscep- tible de fournir, et ils en ont découvert plus d'une qui avait échappé à leurs devanciers. Ils n'ont pas enrichi, mais ils ont assoupli notre idiome, et qui sait s'ils ne l'ont pas inconsciemment préparé à cette vaste exposition des mer- veilles de la science qui sera peut-être l'œuvre de notre prochain grand siècle ? La traduction du premier livre de Lucrèce est précédée d'une introduction en prose sur laquelle il faut s'arrêter quelques instants; car elle pose fort nettement la ques- tion de doctrine, et, sans elle, il est difficile de com- prendre le système philosophique de l'auteur. En avons- nous, même, l'exposition complète dans cette préface ? Il est disséminé un peu partout dans l'œuvre du poète, dans les pièces fugitives comme dans les œuvres de longue ha- leine, dans la prose qui veut être dogmatique comme dans les rimes où le doute et la souffrance morale lui arrachent des accents douloureux. *