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D'UN VIEUX GROGNARD 423
à grelotter, mais encore plus pénétré de tout ce que j'avais
vu et entendu, incapable de distinguer, dans la cohue
d'émotions diverses qui m'obsédaient, si je devais me féli-
citer ou me plaindre de mon sort. L'aveu, si candide et si
résolu à la fois, dont j'avais été le confident involontaire,
était venu mettre le sceau à l'amour dont je brûlais déjà ,
mais comment ne pas être inquiet des visions funèbres qui
hantaient l'imagination de la pauvre enfant ? Mon sommeil
ne fut donc pas des plus paisibles, malgré la fatigue, et il
est certain que l'image de Jeanne voltigea souvent sur mes
paupières fermées. Ses paroles résonnaient à mon oreille
comme une divine mélodie. Le doux aveu : il me plaît, me
semblait sortir de tous les bruits mystérieux du dehors et
même des rayons de la lune, qui vinrent un peu plus tard
se jouer aux rideaux de ma fenêtre, interceptés de temps Ã
autre par les groupes de nuages, les traînards de la tempête,
qui couraient encore dans le ciel. La ravissante image mur-
murait à mon oreille bien d'autres paroles vagues d'un
charme infini, mais quand je me réveillais de mes demi-
sommeils, je cherchais vainement à les préciser; c'était
chose aussi impossible que de saisir avec les doigts des
parfums ou des harmonies dans l'air, et cela me fit penser
pour la première fois qu'il y a bien des langues parlées
entre les créatures humaines dont personne n'a encore
formulé les règles.
*
* *
Ce ne fut pas sans quelque appréhension que je vins
frapper, le lendemain, Ã la porte de Mme Durand pour
prendre des nouvelles de Jeanne. Je craignais de n'être pas