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198 A LA SALLE DE DANSE notre affaire, à nous autres, artistes peu ou prou. Celle-ci était à souhait. Elle était très légèrement gravée. On dit que Jean-Paul, toute sa vie, n'aima que des personnes gravées. — Moi non, par exemple ! — Chose drôle, pour- quoi celle-là fit-elle exception, mais tout à fait exception ? J'avais fini par apprendre à danser, et tant et si bien, que j'étais un enragé danseur, valseur surtout, non de cette valse à deux temps, qui n'était point encore connue, et où l'on saute comme des kanguroos, mais de la vraie valse, où l'on glisse sans toucher le sol, l'allemande. Piétinons sur la modestie : j'étais le meilleur valseur de chez le père Leroy. Cela me semble si extraordinaire aujourd'hui que je ne suis pas bien persuadé que je ne fusse pas un autre. Dire que j'aimais Adrienne plus particulièrement serait inexact. Je les aimais toutes. Mais c'était une adorable val- seuse, et qui avait un grand charme de plus que les autres : son succi plénum lui permettait de ne jamais porter de cor- set. — Je dis ceci en tout bien, tout honneur, Dieu sait ! — Seulement, quand on dansait avec M1Ie F., par exemple, une excellente valseuse aussi, la main glissait sur ce corset sec, à baleines roides : une poupée tournant sur un pivot. Avec Adrienne, le corps souple et moelleux se moulait sur le bras. Point de fatigue. Elle avait l'art de paraître s'ap- puyer beaucoup, sans presque vous toucher. Elle inclinait légèrement la tête, et nous voilà partis. On tournait, tour- nait, on ne se serait jamais arrêté. Un léger vertige, comme un demi-sommeil céleste, vous emportait dans les espaces.