page suivante »
440 DEUX MOIS EN ESPAGNE de son étoffe, et profitant du moment où l'animal se jette sur lui, le perce au-dessus du garrot avec l'épée qu'il a éle- vée à la hauteur de son œil, pour ajuster plus sûrement son attaque; il arrive quelquefois qu'il donne dix coups avant d'arriver à ce résultat, et que le taureau chancelant emporte l'épée et ne meurt réellement que sous le poignard des serviteurs de l'établissement, et au milieu des huées et des cris de fureur de tous les amateurs andalous qui rem- plissent le cirque. Il y avait pour une fête aussi solennelle que l'Ascension, huit taureaux à tuer de cette manière, qui, multipliés par quatre, faisaient comme nous l'avons dit, trente-deux actes de boucherie ; il n'y eut rien de particulier digne d'être noté; le peuple était dans l'enchantement, énumérant tous les chevaux éventrês, et regrettant sincèrement in petto, qu'il n'y eût pas d'hommes de blessés. Voici pour les gradins, où il y avait, il faut l'avouer, peu de femmes du peuple. Quant aux loges, dans lesquelles il n'y avait que peu d'é- trangers, les belles dames espagnoles et les jolies demoi- selles étaient en majorité et dans les toilettes les plus re- cherchées. Je 'cherchai à lire dans les yeux de celles qui étaient mes voisines ; les unes causaient comme on cause au spectacle, c'était sans doute des habituées ; les autres pa- raissaient fort émues par ce sang et ce carnage, était-ce plaisir? était-ce douleur? L'un et l'autre, peut-être, car elles semblaient heureuses d'une vive émotion, chose si inusitée dans leur nonchalante et si monotone vie de fa- mille; au reste, je puis très bien me tromper sur ce point, et il est plus charitable de croire qu'elles vont au cirque comme nos dames à l'opéra, seulement pour montrer des toilettes ou des épaules. Au total, les houras furent peu fréquents dans les loges, ces spectacles perdent dans l'opinion publique. Il n'y a plus