page suivante »
398 CHRONIQUE THÉÂTRALE dées. Il a jeté, à tous les vents, de la musique facile, cha- toyante, coquette et qui coule claire, limpide, mais aussi sans force, ni chaleur, de la musiquerudimentaire, inhabile, sans science, — de sorte qu'il ne lui reste pas même pour survivre cette puissance que Gounod, Thomas, Féli- cien David ont su captiver par de continuels sacrifices et qui seule réussira peut-être à les sauver ; c'est du style, de la forme que nous voulons parler. Aussi, ce grand enchanteur, qui a nom Auber, dont l'art n'a pas été le but unique et qui a mieux aimé les ovations spontanées que les triomphes progressifs et préféré écrire pour un peuple dont les goûts se transforment que pour l'humanité absolue qui ne change pas, en vertu de cette loi que nous signalions plus haut, est tombé dans un oubli profond et justement mérité.— Son nom n'est déjà plus qu'un souvenir, — son œuvre, une date ; disons mieux, il est mort. Oui, mort — comme chef d'école (il n'a point formé d'élèves), comme maître, comme inspirateur et esprit mu- sical vraiment créateur, parce qu'il n'a pas eu ce privilège (peut-être n'a-t-il pas voulu l'avoir) accordé à Mozart, à Beethoven, Weber, Meyerbeer, Hérold, Boïeldieu, Rossini et à quelques autres, de reproduire incessamment le beau dans ses oeuvres, de l'avoir vu se succéder et se mêler à toutes ses idées, à tous ses sentiments, fantôme invisible qui voltige en pleine liberté au sein de l'intelligence, — mais en revanche nous laissant une partie de son cœur, qu'une fois, une seule fois il a osé interroger et qui lui a répondu en lui dictant le deuxième acte de la Muette. Ce jour-là , ce ne fut plus la muse couleur de roses, petite bourgeoise du Marais qui vint se jouer entre les doigts du maître sur les cordes de l'instrument d'ivoire; mais cette femme dont parle Barbier, aux puissantes mamelles, la muse inspiratrice, l'antique déesse qui lui apparut sous les traits de la Liberté. Aussi n'est-ce point son esprit, dont il n'a que faire, qui badine et qui se répand en mille caprices charmants, mais son âme ravie qui chante, et la plus belle des choses peut-être : l'amour de la patrie. Il faut marquer de blanc cette page que rien n'effacera et où est gravé en lettres d'or sur un pur diamant cette magnifique protesta- tion de l'âme indignée, qui sort éclatante et sonore de la poitrine de deux hommes en face de l'asservissement, et qui serait la plus belle de toutes, si, pour la gloire de Rouget