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DANS LE BUGEY 275 En 1871, dans certaine commune que je pourrais nom- mer, on était plus naïf que cela. C'était vers la fin de septembre. Nous avions passé trois mortelles journées à voir tomber, derrière les vitres ruisse- lantes, une de ces pluies d'automne, lentes et continues, qui semblent ne devoir jamais cesser. Quand il pleut, la montagne est bien triste. Le facteur était le seul être qui nous mît en communication avec les vivants ; on l'atten- dait toute la matinée et, le soir, quand les volets étaient tirés et la porte bien close, pour combattre l'humidité du dehors, on se groupait devant une pétillante gavolée de sa- pin et l'on devisait des nouvelles de là -bas. Le troisième jour, le baromètre remonta; la pluie cessa pendant le souper et nous chantâmes notre délivrance. — Allons demain aux champignons, dit Charles. Après ces pluies, Dieu sait s'ils auront poussé ! — Où me conduiras-tu ? A la mort ?... à la gloire?... —- Non : Aux buis de la Crête, mon cher, tout simple- ment. Les mousserons y viennent à merveille, et c'est assez loin du chef-lieu de canton pour qu'on ait chance d'y être sans rival. — Convenu. Mais partons de bonne heure. Nous partîmes avant l'aube, bottés et équipés comme des chasseurs, avec cette différence qu'un bâton ferré nous tenait lieu de fusil. D'épaisses vapeurs rampaient, dans les lueurs grises du crépuscule, et le sol était profondément dé- trempé. Pour abréger, nous prîmes par les bois. Il y ré- gnait une fraîcheur humide, pénétrante, et d'acres senteurs d'amande amère s'exhalaient fortement du feuillage. Des chênes, de jeunes châtaigniers, de grandes fougères retom- bantes bordaient les escarpements du chemin tortueuse- ment creusé dans l'argile couleur d'ocre. Parfois, une branche d'acacia chargée de pluie barrait l'étroit passage et