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DEUX MOIS EN ESPAGNE 259 de ces longues files de mulets de Castille, chargées d'outrés de vin ou de ballots de marchandises ; comme au temps de Don Quichotte, elles cheminent lentement sous la protec- tion des longs fusils qui garnissent les arçons des muletiers qui chantent ou dorment à l'arrière-garde. C'est que nous sommes arrivés au pays illustré par Cervantes, charmante contrée pour les romans, où l'imagi- nation doit transformer tout ce qu'elle y rencontre; je comprends maintenant que ces moulins qu'on m'y montre aient été pris par son héros pour des géants formidables ; il eût été trop triste de n'y voir que d'horribles barraques ; ce clocher lointain est le célèbre village du Toboso, patrie de Dulcinée, son incomparable princesse ! Hélas, on n'en voit pas d'échantillons dans les petites bergères voisines de la route ! Enfin on aperçoit Saint-Jean à 'Alcasar, qui, posé en grosses lettres sur votre carte, soutient votre moral par l'espoir d'un bon souper et d'un gîte confortable ; il faut bien vite en rabattre, j'étais cependant descendu dans la meilleure hôtellerie de la ville ?Mais comme elles se ressem- blent presque toutes sur les routes d'Espagne, je veux la décrire pour montrer l'existence qu'on y mène. C'était, à l'extérieur, une petite maison bien blanche atte- nante aux ruines d'une vieille chapelle ; on y entrait par une toute petite cour entourée par un hangar qui proté- geait les charrettes, les ballots et les harnais des mulets qui mangeaient leur ration autour de son enceinte; c'était une vague réminiscence de l'ancien Caravansérail des Maures. De cette espèce de vestibule, on passait dans la cuisine, pièce ornée de chapelets de jambons fumés, mais privée de tous les ustensiles qui la caractérise chez nous ; un petit escalier lui fait face, et conduit à un couloir en galerie sur la cour, qui se termine par un cabinet de six pieds carrés, dallé et