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254 DEUX MOIS EN ESPAGNE Ses petites rues étroites, rarement pavées, ses maisons soigneusement blanchies à la chaux, ou nuancées de teintes roses ou bleu d'azur, les tuiles vernissées de ses toits dont le soleil fait briller les mosaïques, ses jardins d'acacias, d'orangers et de palmiers, ses rues en arcades couvertes d'éclatantes tentures, tout lui donne un aspect oriental qui rappelle les peintures que nos artistes rapportent de Cons- tantinople et de l'Egypte ; une population chamarrée des plus vives couleurs, de petits chevaux chargés de grelots, de fleurs et de légumes qui trottent sans respect pour les passants, des hommes qui n'ont pour tout vêtement qu'un bonnet de laine rouge, et un mauvais caleçon de toile grise, se démenant à grands cris au travers des cuisines ambu- lantes, tout cela a un cachet d'enfance de civilisation, qui va bien avec le décors de la scène, et rappelle l'Arabe qui vit en plein air, et fait volontiers le coup de feu avec le voyageur qu'il rencontre sur sa route. Mais comme je l'ai dit, tout est contraste dans cette ville, et si, détachant vos yeux de ce marché qui rappelle l'Asie ou le nord de l'Afrique, vous les fixez sur le vaste bâtiment qui le domine, sa teinte toute castillane vous reporte sur le champ dans notre vieille Europe, car ce vaste édifice couronné de créneaux, et flanqué de larges tours, n'a rien des palais enchantés décrits dans les Mille et une nuits ; c'est bien la demeure des anciens chevaliers bardés d'acier de l'Espagne catholique, et les légères arabesques des califes, n'ont rien de commun avec ces remparts embellis de herses, de meurtrières et de mâchicoulis. Cet édifice est, en effet, l'antique palais de Chimène, qu'elle occupa après la mort de son époux, le Campéador, si célèbre sous le nom du Cid. Que de poésie, que de gloire vous rappellent à vous, qui n'êtes qu'étranger, les noms de ces illustres possesseurs, et combien une telle relique, échap-