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DEUX MOIS EN ESPAGNE 255 pée au ravage des siècles, doit être sacrée pour un peuple qui chante jours et nuits les hauts faits de ses ancêtres ? Hélas ! il n'en a pas été pourtant ainsi; l'industrie a jeté un coup d'œil sur la demeure de la veuve du vainqueur des Maures ! elle a vu qu'elle était sur le marché et spacieuse, et elle en fait ce que l'on appelle en Espagne la Bourse de la ville ! Entrez maintenant dans cette vaste salle que couronnent toutes ces dentelles de pierre, et que supportent ces lon- gues colonnes en spirales, aux ogives blasonnées des écus des chevaliers morts sous le cimeterre ? Ce ne sont pas des panoplies de leurs armures que vous y trouverez, mais d'é- normes comptoirs huileux, et vermoulus à l'impossible, des échoppes où sont établi les plus dégoûtants produits du commerce de l'Espagne ; dans un coin de leur réduit, un petit Juif, tout sordide et tout cassé, y préside à la place même qu'occupait Clumène, et s'il y est occupé à frotter ses énormes lunettes vertes, c'est qu'il cherche sur son livre de compte une erreur de quelques sous à son préjudice, dans l'addition des profits de sa journée. La cathédrale, du moins, vous ramène à des idées de l'an- cienne gloire de l'Espagne. Quand votre œil s'est habitué à ces ténèbres visibles qui sont l'atmosphère de toutes les églises de l'Ibérie, que quelques rares cierges ont fait briller à vos yeux ses vastes dalles de marbre toujours veuves des bancs et des chaises qui traînent dans nos églises, que vous avez découvert les groupes de femmes enveloppées dans leurs mantes noires, qui, prosternées, forment des îlots sur ses blancs parvis, vous suivez avec recueillement les cha- pelles qui découpent ses cloîtres. Que de richesses archéolo- giques ! que de statues, que de bas-reliefs, que de tableaux de tous les grands artistes ! mais hélas I presque toutes ces admirables reproductions ne sont destinées qu'à retracer les horribles tourments par lesquels les saints du paradis