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DEUX MOIS EN ESPAGNE 18$ jettent dans leurs cerveaux des flots de vif-argent qui ont un besoin irrésistible de mouvements plus ou moins désor- donnés. Absorbé par ce curieux et nouveau spectacle, je négligeai d'aller voir l'église, qui en vaut la peine à ce que l'on dit, et de visiter les fortifications qui arrêtèrent toute une armée française., commandée par le général Gouvion Saint- Cyt, qui, après y avoir perdu près de dix mille hommes, n'y entra que par une broche qui avait servi de tombeau à la majeure partie des femmes et des enfants de la ville. Il était déjà temps de se hâter de rejoindre notre dili- gence, car les mules, attelées deux à deux devant elle, avaient formé leur longue procession, surchargée de grelots et de rubans de toutes les couleurs; le petit postillon, juché sur leur premier couple, nous faisait signe de nous hâter avec sa toque blanche, qui laissait à découvert le fou- lard natté dans ses cheveux. Le zagal, ce postillon à pied qui court après les six ou huit paires de l'attelage, avait revêtu sa blouse d'indienne, couverte d'un semis de toutes epèces de fleurs ; enfin le majorai, notre respectable chef de la caravane, tenait ses longues guides et nous appe- lait de sa voix la plus imposante. Partons donc, car nous n'avons que le temps voulu pour arriver à la station du chemin de fer avant que le train ne la quitte, et en Espagne, comme je l'ai dit, il ne faut pas perdre sa place du coche, car pas de petites voitures à espérer pour les flâneurs, et, hors lui, il n'y a plus que les muletiers qui voyagent. La voiture traversa assez rapidement une plaine aride en dépit de la pluie de la veille, et une nappe de poussière blanche nous dérobait aux yeux des piétons, comme le nuage classique qui accompagne les dieux de l'Olympe. Des cours d'eau, parfois assez profonds, coupaient souvent la route; jamais ils n'étaient munis de ponts, parce qu'à la